« Aller aux fraises » – Eric Plamondon – Quidam éditeur

« Au printemps de mes dix-sept ans, j’ai trouvé un job de pompiste et caissier au Pétro-Canada de Cap-Santé. Je faisais le plein et j’en mettais pour dix ou vingt piastres. On vendait aussi des cigarettes, de la bière, du chocolat, des boîtes de conserve, des pintes d’huile 5W30, 10W30,5W40,etc. Au début de l’année, on avait vu exploser la navette spatiale Columbia en direct avec à son bord une maîtresse d’école. Fin avril, la centrale nucléaire de Tchernobyl avait pété à son tour. »

Voici l’amorce de ce petit recueil de trois nouvelles, trois récits ( je ne crois pas que ce soit autobiographique ) du même narrateur, un jeune québécois du XXème siècle, à l’aube de son indépendance, à l’époque des grosses « fêtes » avec les amis, alors que les groupes vont se dissoudre pour les études supérieures, s’éparpiller ici et là sur le territoire. Notre jeune homme n’est pas en reste, en tous cas, dans les deux premières histoires qui ne sont à peu de choses près que beuveries dans des conditions météos extrêmes et dans un état d’ébriété avancé. Bal des Finissants:

« Le Bal des Finissants s’était officiellement terminé le lendemain midi chez Ti-Oui Snack Bar devant des grosses poutines barbecue, des guédilles au poulet, des pogos, des club-sandwichs pis des galvaudes. on avait mal aux cheveux. On se racontait tout ce qu’on avait vu et entendu. Paraît que Dompierre avait fini dans la chambre de Morrissette. La Langlois voulait se battre avec Martine Germain. Y a des profs qui étaient restés pas mal tard…As-tu vu le Jeep de Patate? Méchante bosse. Je voudrais pas être à sa place devant son père. Y va en manger une câlisse! On avait vraiment viré la brosse de l’année. Les examens du ministère étaient dans deux semaines. »

Les parents du narrateur sont divorcés, le père vit à Québec, la mère à Thetford Mines ( à la fin, chez son nouveau chum ), en bonne intelligence. Le premier texte se finit aux adieux du père et du fils, touchant instant:

« C’était la fin de quelque chose. Je me dirigeais tout droit vers les responsabilités, les histoires d’amour compliquées, les haines partagées, les collègues insignifiants, le mariage, le divorce, avoir un enfant, voir ses parents vieillir, changer d’idée, douter, chercher des réponses, sombrer, se relever, tenter, recommencer et, souvent, me souvenir de la fois où mon père m’avait dit: « On dirait que t’es allé aux fraises ». »

Quoi qu’il en soit, c’est le troisième texte qui m’a vraiment plu, énormément plu. Parce que tout y est si juste… Eric Plamondon laisse un peu de côté les grosses fêtes alcoolisées pour l’introversion du jeune homme qui cette fois a 18 ans. J’ai d’abord appris beaucoup de choses, sur l’amiante par exemple, quand le beau-père  explique au garçon l’histoire de Thetford Mines, dans la région Chaudière-Appalachespuis notre narrateur fait des rencontres au cegep de gens différents de ceux qu’il côtoyait jusqu’alors, lui ouvrant l’esprit. Puis arrive cette fin superbe, sur la route en voiture, la neige tombant sans cesse par vagues énormes, et une apparition rendue magique par l’écriture si proche de la confidence de cet écrivain. J’ai beaucoup aimé, avec un +++ au dernier chapitre. Je n’avais lu que « Taqawan », formidable histoire, et je n’en ai sûrement pas fini avec Eric Plamondon. Deux dernières pages absolument superbes, je ne vous en livre que la fin pour ne pas vous gâcher le plaisir; sur la pente à 10% qu’il affectionne, sous un rideau de neige et après une rencontre qui l’a fait stopper

« Ça n’a duré que quelques secondes, mais ça m’a paru long. […] J’ai éteint la musique. J’ai respiré plusieurs fois. J’aurais aimé qu’Isa soit avec moi pour voir ça. J’ai pensé que c’était un signe, que ça voulait dire quelque chose, un cadeau du ciel, je ne sais pas.

Ce que je savais, c’est que je venais d’avoir dix-huit ans et que tout était possible. »

Faite de rites initiatiques, d’expérience et de l’insouciance qui prend fin peu à peu, c’est un regard très juste, sensible et touchant sur le passage à l’âge adulte, sans jamais oublier d’être drôle, car enfin ce n’est pas un drame de « grandir ». Bien sûr le parler québécois ajoute, pour nous français, une pointe comique ( eh ben oui, amis québécois, votre parler nous amuse et c’est bien ! )

Lecture courte à la fois réjouissante – parce qu’on peut s’y reconnaître aussi – , et très émouvante. Au son de Van Halen et d’Iron Maiden

 

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