« La coupure » – Fiona Barton – Fleuve Noir, traduit par Séverine Quelet

« Mardi 20 mars 2012

« Emma

« Mon ordinateur m’accueille avec un clignotement complice lorsque je m’installe à mon bureau. Je le salue d’une pression sur le clavier et une photo de Paul apparaît à l’écran. […] Je veux lui rendre son sourire mais, en me penchant vers l’écran, j’y surprends mon reflet et cette vision me stoppe net. Je déteste me voir sans y être préparée. Je ne me reconnais pas, parfois. On croit savoir à quoi on ressemble et c’est une inconnue qui nous dévisage. Ça me fait peur. »

J’avais fait la connaissance de Kate, journaliste émérite dans le premier roman de Fiona Barton, « La veuve« , Kate alors qualifiée en 4ème de couverture de « journaliste sans scrupules ».

Ce premier roman m’avait bien accrochée avec sa forme narrative à plusieurs voix et son sujet, déjà le mensonge et la vérité, la complexité de tout ça mêlé dans la vie des gens.

Revoici Kate dans une enquête journalistique qui va à nouveau mettre en question mémoire, souvenir, mensonge, déni tout en peignant avec justesse les relations mère-fille et les traumas de l’enfance, de l’adolescence, les actes violents qui affectent une vie entière, bref, un large spectre des choses de la vie.

Ma lecture du roman très fort et perturbant de Dan Chaon m’a menée vers ce livre-ci, plus facile à lire, mais néanmoins bien construit – sur le même modèle que le précédent – et addictif comme le précédent. J’ai donc bien aimé cette histoire en fait très noire racontée d’un ton « léger » en tous cas sans mièvrerie ni exagération mélodramatique.

Tout commence avec le corps d’un bébé retrouvé enterré sur un chantier. Kate va immédiatement se pencher sur ce fait, d’autant que l’affaire semble complexe : difficile de dater le corps, le quartier dans lequel il est déterré a beaucoup changé, les gens qui y vivaient dans les années 70/80 ont changé de nom pour les femmes ou ont déménagé…Mais notre journaliste, épaulée par des contacts utiles dans la police, puis flanquée d’un jeune stagiaire à dégrossir va mener tambour battant une enquête qui s’avérera éprouvante à plus d’un titre. Fiona Barton nous immisce dans la vie des femmes en cause dans l’histoire, Emma, Angela, Jude, la voix de Kate et comme dans le précédent roman, un seul chapitre où s’exprime la voix d’un homme, Will.

Emma:

« En ce qui me concernait, les élans romantiques demeuraient dans mes cahiers et mon journal intime. […] Il y avait eu un échange de baisers innocents derrière la maison des jeunes, une mise en pratique de la théorie apprise dans le magazine pour ados Jackie, mais je préférais de loin m’épancher par écrit sur des amoureux imaginaires. Mes fantasmes étaient plus sûrs. Et nécessitaient moins de salive. »

« Les pages de ce cahier ordinaire sont remplies de mon écriture en pattes de mouche. Mes années d’adolescence. C’est drôle que j’aie divisé ma vie en tranches de temps. Comme si j’étais plusieurs personnes. Je l’étais, je suppose. Nous le sommes tous. »

Emma et Angela qui vivent avec une souffrance terrible liée au passé, l’une dans le secret et l’autre à visage découvert, toutes deux épaulées d’un mari attentionné, patient…

Angela:

« Elle allait se mettre à pleurer, elle le savait. Elle sentait les sanglots monter, enfler, obstruer sa gorge, l’empêcher de parler. Elle s’assit sur le lit une minute afin de repousser le moment fatidique. Angela avait besoin d’être seule lors de ses crises de larmes. Au fil des années, elle avait tenté de les combattre: elle n’était pas une pleureuse. Son travail d’infirmière et sa vie de militaire l’avaient endurcie et blindée contre tout sentimentalisme depuis fort longtemps.

Pourtant, chaque année, le 20 mars faisait exception. »

Jude qui est la mère égocentrique d’Emma qui se veut encore jeune, belle, séduisante, et qui est en fait peu aimante.

« Elle avait été trop honnête avec Will, elle s’en rendait compte aujourd’hui.[…]Elle avait même suivi son conseil et poussé Emma hors du nid quand sa fille était devenue difficile.

« Qui aime bien, châtie bien, Jude. Tu verras. c’est ce dont elle a besoin. »

Elle l’avait fait. Elle avait dit à son enfant qu’elle devait partir. L’avait aidée à faire sa valise. Avait refermé la porte derrière elle. Emma partie, Jude avait mis toute son énergie dans sa relation avec Will, elle lui courait après, essayant d’anticiper ses moindres désirs. »

Je peux dire sans rien dévoiler que Fiona Barton écrit de beaux et justes portraits de femmes. Même si ses personnages masculins sont pour certains pleins de bienveillance, même si les femmes de ses livres sont parfois bien perturbées – ou manipulatrices, menteuses, voire méchantes … – on peut dire qu’elle démonte, décortique très bien les faits pour remonter à la source des troubles, que l’on excuse ou pas. Je rajoute que les personnages secondaires sont eux aussi souvent intéressants, et bien dessinés en quelques mots, comme Melle Walker:

« Kate posa son calepin à côté d’elle, pour signaler à Melle Walker que leur conversation n’avait rien d’officiel.

Plus jeune que Kate ne l’avait cru de prime abord, la femme devait avoir la soixantaine, mais elle semblait usée par la vie. Elle avait une allure un peu bohême; des couleurs vives qui égayaient un visage fatigué. Kate nota l’éclat roux patiné de sa teinture maison et le fard qui s’était amassé dans le pli de la paupière supérieure. »

Bon, Jude ne m’a pas été fort sympathique…Et finalement Kate, censée être sans scrupules est plutôt attachante. Enfin la fin spectaculaire est bien amenée. On voit donc naître ici une série, je pense, et ça me plait parce que Kate est un personnage intéressant que Fiona Barton j’espère creusera; l’écriture est bonne, chaque voix a son tempérament. J’aime aussi le fait que tout prenne son temps, sans brusquerie, ça rend la chose aussi plus crédible, et puis ça m’a permis une lecture de détente sans idiotie.

Un livre pour un large public, j’ai toujours aimé ça !

Et on écoute ceci avec Emma adolescente, années 80 ( version « relookée »  sinon c’est le minet bronzé brushé, un peu trop pour moi ! )

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