« 8 AVRIL 2015
Sebastiano Laurenti contemplait le spectacle du chaos derrière les vitres fermées de l’Audi A6 noire.
Rome brûlait.
Depuis cinq jours, la ville était à genoux. Immobilisée par une grève sauvage des transports. Submergée par le blocage total du ramassage des ordures. Infectée par la puanteur des feux que les citoyens exaspérés allumaient au coin des rues. »
J’avais lu et chroniqué avec un grand plaisir « Suburra » écrit par ce formidable duo romain. Et voici une suite tout aussi jubilatoire et tellement, mais tellement dans l’air du temps ! Fermant le livre en entendant un ex ceci et un futur (ah oui ?) cela à la radio, je me suis dit que le pouvoir, quel que soit le lieu et le domaine où il s’exerce produit partout les mêmes effets sur les hommes, et c’est – soupir – fort regrettable. Le roman a été écrit pratiquement au moment des faits. Chaque chapitre commence par une ou des dates et un lieu (et les auteurs nous indiquent, non sans humour, les saints du moment); les protagonistes sont parait-il reconnaissables à qui suit attentivement la vie politique italienne. Ce n’est pas mon cas, mais je le crois volontiers. Et ça n’empêche pas de lire ce très bon polar avec beaucoup de bonheur, stupeur, saisissement et en riant souvent, d’un rire un peu désabusé, mais on rit !
Nous voici donc à Rome, en 2015, et le pape François annonce un Jubilé de la Miséricorde, qui se présente comme un défi pour le maire tout neuf et déjà contesté Martin Giardino, qui entend bien « nettoyer » sa ville de la corruption, en particulier celle qui règne au sein du Capitole. Le défi pour cet évènement, le Jubilé de cette très catholique Rome, est logistique; il faut envisager de nombreux travaux et une sécurité importante. Nous avions rencontré Samouraï dans Suburra, magnifique personnage, mais il séjourne en prison et le relais mafieux est assuré par Sebastiano Laurenti, jeune, beau et ambitieux, qui va vite ne plus se satisfaire d’assurer seulement l’intérim. On retrouve les factions diverses de cette mafia « pluriculturelle » qui mange à tous les râteliers et profite, profite !
« D’un coup de frein brutal, le museau de la voiture rouge s’arrêta à deux mètres de l’eau. Juste devant le Mykonos IV, le 36 mètres de carbone que Fabio avait enlevé pour une bouchée de pain à un entrepreneur grec croulant sous les dettes. Elle est forte, c’te Merkel. »
Comme de juste, la mafia romaine toutes branches confondues tient en main les marchés publics et sent l’aubaine qui arrive : la guerre est déclarée ! Entre les rivalités et ambitions politiques, comme celles de la belle et glaciale Chiara Visone et les luttes de pouvoir mafieuses – les unes se mêlant allègrement aux autres -, on assiste d’abord à une guerre sourde, ponctuée de quelques assassinats, puis éclatant au grand jour avec une « grève générale » des services de ramassage des ordures et des transports. Le livre débute sur cette accroche de choix, en prologue, puis remonte à la genèse des faits. En lisant cet article, vous aurez un aperçu du résultat. Bref, Rome brûle !
Ensuite, il faut lire pour découvrir toutes les finesses de la trame de cette histoire. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est très bien écrit, le rythme est vif, nerveux, pas de temps morts. Personne n’est épargné, tous les pouvoirs sont épinglés – plus ou moins méchamment – et la ville elle- même, Rome, ville éternelle, du point de vue mafieux
« On avait beau faire, dans cette sacrée ville, à la fin tout se résume à bouffe, nichons et paillettes. Boucan, excès et plouquerie. »
et du point de vue des élus de la ville:
« Moi je suis de ton côté. Mais ne compte pas sur Rome. Il n’existe pas de ville plus glissante que celle-là. Ici les grandes amours et les haines éternelles durent le temps d’un café, Martin. Ici, rois, papes, duce et empereurs ont été portés aux nues et abattus l’espace d’un souffle de vent. C’est une ville qui, a chaque minute, allume une passion et en éteint mille. Rome te reconnaît tant qu’elle te regarde de bas en haut. Quand tu descends du piédestal, tu es comme tout le monde et il en faut vite un autre. »
Les chapitres assez courts accentuent la sensation de tension puis de frénésie qui anime la ville, avec les règlements de compte qui commencent et s’enchaînent jusqu’à la fin. Enfin les dialogues font mouche à tous les coups, on ne s’ennuie pas une minute. Reste la fin, finaude, qui nous annonce une suite, enfin on l’espère. Jubilatoire, encore une fois !
« Il s’appuya à la rambarde du pont Saint- Ange. Regarda le profil de Saint Pierre. Comme éperdus, les cormorans voltigeaient dans la lumière blanche projetée par les phares des bords du fleuve.
Le canon froid d’un pistolet se posa sur sa nuque.
La voix de Fabio Desideri résonna, sarcastique:
-Bonne nuit, mon ami. »
Ah les effets destructeurs du pouvoir…j’ai découvert que saint Augustin distinguait 3types de libido : le désir de connaissance, le désir sensuel et le désir de domination. Quel est celui qui crée le plus de ravages?
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Ah ! Saint Augustin avait pas tort ! Et le choix trois me semble le plus dévastateur, mais les trois types de libido sont liés, j’en suis certaine…Ces deux messieurs ont un humour bien senti, et écrivent de façon épatante, tant dans l’ironie que dans la mélancolie ( oui, les personnages ici ont des accès de mélancolie…défaillance de la libido 2 ? )
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– soupir – tu me fais rire avec nos ex et futurs…. encore un livre à mettre sur la « pal »…. Merci !
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ben oui, hein ! on est en plein dedans les ex ceci et les futurs celà ! Et les deux lascars qui écrivent ( un journaliste d’investigation à La Repubblica et un juge à Rome ) savent de quoi ils parlent, avec humour, ironie et peut-être, un peu de désespoir ?
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Bonsoir Simone, moi aussi j’ai aimé Suburra (le roman et le film) et il faut que je lise celui-ci après d’autres. Bonne soirée.
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Oui, j’avais lu ton avis. pas vu le film, mais j’en ai bien l’intention. Ce livre-ci est plus court mais tout aussi percutant !
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