Cinq photos, cinq histoires, par Marie Dhollande ( 2 )

OCÉAN

08 51

« J’ai toujours aimé la mer.Ou qu’elle soit. Quelle que soit l’heure ou la saison.

Dans les ports les plus sombres, dans les criques fourmillantes de corps huilés ou dans les interstices des esplanades bétonnées, elle est là quand même.
Méprisante et superbe, se gaussant de ces humains prétentieux qui croyaient la dompter, elle lèche les goûts amers de leur petitesse sachant bien qu’un jour elle les dévorera.

Mes rives à moi sont atlantiques. Elles sont courants et vagues écumantes, elles sont sauvages et farouches. Elles sont baïnes perfides et calmes trompeurs. C’est l’Océan jamais rassasié à qui l’été, aux soleils complices d’insouciance, vient faire offrandes en ses pièges meurtriers.

J’ai toujours craint sa puissance masquée, cette force que souvent elle dissimule pour mieux happer l’oubliant. Je le sais traîtresse autant que belle, sournoise autant qu’attirante.
Alors je reste là, à écouter son chant, à me repaître de sa fraîcheur salée, laissant parfois la vague me caresser quand elle cueille la grève.
S’asseoir près de la frange écumeuse et poser son regard sur les horizons étirés, lisser inlassablement le soyeux du sable qui se creuse, lascif, sous la main.
Fermer les yeux pour mieux écouter, pour mieux ressentir : sous les paupières se jouent des couleurs chatoyantes de kaléidoscope, et le temps se suspend.
Du lointain parviennent parfois, portés brusquement par une gifle de vent, la gaité estivale et les cris des enfants.

Seule avec elle, en marge du monde, je me sens, tout simplement, profondément heureuse … »

11 159

IL Y A…

07 236« Il y a le jour de la lessive. Et puis celui des courses ; et ne vous avisez pas, surtout, de les décaler …
Il y a les journées qui commencent tôt, et le lent et rassurant cortège des gestes soigneux, toujours les mêmes, toujours aux mêmes heures.

Il y a la cuisine, dont tout un mur est occupé par une vaste cheminée dans laquelle on pourrait se tenir debout, si elle n’était encombrée d’un gros poêle en fonte (parce que le feu, voyez-vous, ça salit).
Et les carreaux de faïence bleue, le calendrier des postes, et le bahut de la grand-mère, avec son bois sculpté et son tablier de marbre.

Il y a là un vieux chat trouvé qui dort toute la journée, indifférent, sur une chaise, sa chaise, couverte de vieux chiffons proprement repliés, et une meute de chiens de toutes tailles qui convergent, alléchés par la bonne bouffe qui leur est ici réservée. Pourtant, « ils ont des maîtres, mais ils ne les caressent jamais, les pauvres bêtes, si c’est pas malheureux … ! ».
Et cependant, malgré les papattes boueuses qui vont et viennent, on pourrait manger par terre …

Il y a le salon, dans lequel on ne va que pour regarder la télé (le soir seulement, sauf pendant le Tour de France, pour les paysages) ; personne ne saurait dire la couleur du canapé puisqu’on ne le voit que protégé par une couverture, savamment repositionnée après chaque séance d’abandon télévisuel. Sur le napperon de crochet écru étalé bien au centre de la table basse, un bouquet artificiel darde faussement ses couleurs joyeuses.

Aux murs, quelques photos d’enfants, le bouquet d’anémones en provenance d’une ancienne boîte de chocolats, et une immuable peinture de cerf aux aguets, figé à l’orée d’un bois aux teintes automnales traversé par une rivière, alors qu’à l’arrière-plan, fume la cheminée d’une maison au toit de chaume.
Non, pas de canevas …

Pendant ce temps-là, l’imposante comtoise rythme les minutes de son lourd balancier.

Il y a l’ennui et la monotonie, et le défilé tranquille et rassurant de la vie qui s’écoule. Sans heurts, sans surprise. Quand hier ressemble à aujourd’hui, quand le moindre évènement occupe durablement les pensées, quand la moindre anicroche se transforme en souci, la rupture est totale, plus de passerelles possibles. Mais ça ressemble à du bonheur.

Quand vous arrivez du dehors, n’amenez pas dans vos bagages l’hostilité du monde, ne laissez pas vos peurs et vos angoisses envahir cet espace.
Naufragé, vous êtes sur une île : laissez-vous débarquer un instant, goûtez à ce mystère …Mais c’est peut-être, cependant, le seul endroit que je connaisse dans lequel je suis aussi heureuse d’arriver …. que de repartir !! »

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