« Cinq photos, cinq histoires » par Marie Dhollande

Marie est une compagne de blog de longue date, mais discrète, très discrète…Néanmoins nous communiquons ponctuellement hors champ et de temps à autre, elle affiche ici un commentaire. J’aime ce qu’elle fait, depuis le début. Elle a participé déjà une fois, par amitié, à un challenge ( Ma bibliothèque ) et j’avais déjà fait la passeuse avec un très beau texte d’elle. Ce rôle de passeuse me plaît, alors comme je l’avais invitée à participer une fois encore, comme je sais son talent pour la photo et que ça me semblait tout approprié, de retour d’Auvergne je trouve dans ma boîte aux lettres toute sa participation. Je publierais celle-ci en trois articles, et voici donc la Scène 1:

La Maison Vieille

la maison vieille

« Quand j’étais enfant, j’observais mon père lorsqu’il sortait avec précaution son « Kodak » de son petit sac de cuir rigide. Je le voyais visser l’objectif, puis disparaître à moitié derrière l’appareil, et, l’œil rivé dans le viseur, ajuster savamment ses réglages.
Je n’apercevais plus de lui que le contour du visage, un œil résolument fermé et une bouche qui se tordait légèrement sous la concentration …. Un rituel un peu mystérieux, transcendé par l’interdit absolu qui m’était fait de toucher à l’objet (qui devint donc, c’est logique, celui de toutes mes convoitises !)

Quand j’ai eu une dizaine d’années, j’eus le droit –enfin !- d’apposer moi aussi mon œil dans la fenêtre magique du viseur. Et là : surprise ! Le monde entier disparut. Ne restait plus de l’univers que cette petite ouverture que JE choisissais : l’appareil photo me coupait des réalités autres, celles que –déjà enfant- je ne voulais pas voir …
A mon oreille, la voix paternelle prodiguait moults conseils : la perception de la lumière, l’orientation du soleil, le choix de la prise de vue. Car il ne fallait pas « gâcher » ! Il fallait prendre « utile » : des personnes, des lieux « intéressants ». La photo n’était pas qu’une technique et encore moins un art, elle se devait d’être une efficace machine à souvenirs.

A mes 14 ans, je reçus mon premier appareil photo.
Bon, il n’était pas comme celui de mon père : là, pas d’objectifs, pas de réglages à dompter … Juste un bouton pour déclencher, et une molette pour faire avancer la pellicule. Le tout fourni avec 2 pellicules 36 diapos 200 ASA, et le mot d’ordre : « entraîne-toi » …

C’est donc sur la 1ère pellicule de mon 1er appareil photo que j’ai pris ce cliché :

On l’appelait « la maison vieille ».
Pourquoi pas « la vieille maison » ? C’était une telle évidence de la nommer ainsi que personne, je crois, n’a jamais interrogé cette anomalie grammaticale ! ….
En torchis, elle fût la toute première maison de mes grands-parents, du temps où ils étaient jeunes métayers : d’un côté l’habitation, de l’autre l’étable.
A l’arrière, le « Ruisseau », et la planche-lavoir de ma grand-mère.
Et devant, le banc en bois sur lequel mon grand-père revint s’asseoir chaque soir, bien après que leur fût construit une petite maison en pierre, en haut de la pente.

Quand j’ai pris cette photo, elle servait de refuge pour les poules, et pour quelques outils.
Sans que rien ne laisse présager une fin aussi imminente, elle s’est écroulée peu après. Lentement, elle s’est tordue, elle s’est recroquevillée, fatiguée. Ses montants en bois se sont couchés, et le torchis est retourné se mélanger la terre.

Pour que mon «histoire » soit complète, je dois quand même ajouter que lorsque je passai à l’examen de passage que mon père fit subir à mes premières photos, celle-ci fût accueillie d’une moue un peu dubitative (mais déjà plus enthousiaste que celle du bouton d’or –que j’ai encore !!-). « C’est bien », m’avait-il dit, « mais ce n’est pas très intéressant ».
40 ans plus tard, elle a fait partie des 5 photos choisies par Télérama pour son concours « photos d’enfance ».
C’était la 1ère fois que je participais à un concours. »

Et la scène 2 : 

Banlieue

 

 

banlieue« Des visages somnolent, les yeux mi-clos tournés vers les lueurs fugaces de la banlieue qui défile, irradiant par éclairs blancs ces peaux teintées de rêve et ternies de fatigue qui puisent leurs racines dans la lumière dorée de l’Afrique, l’espace ouvert des déserts, ou les rues éclatantes des casbahs.

Ils sont venus là, dans leur humanité morcelée, se fondre aux ombres crues de l’éclairage au néon, dans l’espace confiné de ce wagon balloté de tangages, cerné de grincements : improbable mixage de cultures et d’histoires où le noir prédomine.

Et peu à peu avance, et peu à peu s’éclaircit la dominante brune ; prenant d’assaut les clichés et les dernières places, voilà Versailles qui s’engouffre, en costume cravaté, en tailleurs sages et chiffons ramassés, en manteaux bien coupés et brushings au carré.

Et toujours avance.
Avance, et puis s’arrête. De plus en plus souvent.
Repart et puis avance.
Et toujours s’engouffre la marée indistincte des banlieusards prospères. C’est Paris en approche, et l’Afrique se noie ; des rêves se secouent cependant qu’au dehors un filet de jour pluvieux commence à peine à poindre.

La capitale, bientôt, les ingurgitera tous. Indifférente et vorace, elle en digèrera l’énergie sans distinction de classes. Repue, les vomira ce soir … par ordre de couleur, des peaux les plus blanches aux teintes les plus sombres.

Et demain recommencer. »

( Ecrit dans un train de banlieue parisienne,
Il faisait froid ce jour-là.)

2 réflexions au sujet de « « Cinq photos, cinq histoires » par Marie Dhollande »

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