« En finir avec Eddy Bellegueule » de Edouard Louis – Seuil

 

eddyMe voici bien embêtée…Mais ce n’est pas la première fois, allez ! Je me lance !…Je viens de passer un moment sur les articles de presse, élogieux pour la plupart, les blogs de lecteurs en tous genres, des avis plus partagés… Vous voyez, je vais  prendre des pincettes, parce que j’ai toujours ce sentiment d’être illégitime pour donner un avis sur un livre qui a été salué…Et d’autant plus que  » c’est du vécu » et alors là, je me sens carrément pas humaine…

Il s’agit d’un roman… Pour moi, il faudrait préciser : autobiographique, par souci de véracité. Quelle est la part du réel et celle de la fiction ? Car en l’occurrence, c’est important, parlant de personnes réelles, non ? Et disant ce que dit Edouard Louis.

J’ai écouté avec grand intérêt Edouard Louis – Eddy – à la radio, à la télévision, et j’ai trouvé intéressant et touchant ce qu’il racontait. J’ai lu son « roman », et ce fut un peu redondant parce qu’il avait tout dit devant les micros, mais j’ai lu. Je ne peux pas dire que j’ai ressenti une énorme émotion, que j’ai frémi aux horreurs qu’il raconte, en résumé, je n’ai pas trouvé l’écriture très bonne, pas trop aimé le style – s’il y en a un – et si la description de son milieu, de son enfance, de sa famille sont d’une dureté implacable, je n’ai pas été émue.  Désolée, mais je ne peux pas le dire autrement. Par contre, son livre est dédié à Didier Eribon, sociologue et auteur de « Retour à Reims », qui qualifie son propre ouvrage d’auto-analyse ( lire l’article d’Annie Ernaux ) et ce qualificatif me parait indéniablement honnête et précis.

retour_a_reimsEt ce livre-ci, bien que n’étant pas un roman, m’a touchée par contre au plus profond, parce que la langue, même si c’est celle de l’analyse, est bien plus aboutie, que l’auteur est plus distancié, que tout y est plus fin et sensible,  » un livre de réflexion théorique », qui – il faut le souligner tant c’est rare – a rencontré un grand écho public. Bref, plus littéraire, au fond, bien que ne se nommant pas « roman ». Bien sûr, on ne peut pas nier le but « thérapeutique » que le livre d’Edouard Louis peut avoir pour lui, même si le remède ne fonctionne peut-être pas toujours. Je ne vais pas résumer la teneur, tout le monde en a entendu parler, mais bien sûr, c’est une histoire affreuse, et j’ai pensé qu’ Edouard Louis a  écrit ce livre dans un état de colère, de rage à peine contenues et qu’il y manque quelque chose…Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais il m’y a manqué l’émotion, l’empathie, voilà…Je constate encore une fois que l’autofiction me déçoit souvent, et il en paraît beaucoup. Ici, il a manqué la qualité d’écriture ( en tous cas, ça ne m’a pas convaincue ) , sans doute l’inexpérience de l’auteur, l’énorme rage qui l’habite, on peut presque dire : la haine; en 200 pages, le livre me semble inabouti, il aurait  sans doute mérité d’être plus travaillé, je ne sais pas…Une polémique s’est engagée entre l’auteur et le journaliste auteur d’un reportage  pour le Nouvel Obs’ ( qui a interrogé la famille d’Edouard Louis, sa mère en particulier ) . Est-ce dû à cette hésitation entre fiction et réalité qui lui a valu ça ? Je ne sais pas, cette polémique n’influence en rien mon point de vue. Si c’est un roman, il manque de travail. Le contenu, on n’en doute pas, est authentique, c’est la forme qui me pose problème. En gros, quand Edouard Louis dit qu’il écrit de la littérature, je veux bien, mais je ne trouve pas ça bien écrit, et je veux bien l’excuser, c’est un premier roman, pas réussi à mon goût. J’ai préféré l’entendre raconter.

Juliet-Lambeaux-01Dans le récit autobiographique, avec une qualité de style très très supérieure, je vous conseille « Lambeaux » de Charles Julliet, bouleversant, ça a été pour moi une découverte magnifique et Charles Julliet est un auteur qui mérite d’être lu et connu. Un véritable et grand écrivain.

On dira qu’Edouard Louis est jeune, a écrit dans l’impulsion et on peut le comprendre. Fera mieux la prochaine fois !

 

16 réflexions au sujet de « « En finir avec Eddy Bellegueule » de Edouard Louis – Seuil »

    • Je ne peux pas m’empêcher de penser que je me trompe quand mon avis ne rejoint pas l’opinion dominante, même si je sais que j’ai absolument le droit de ne pas aimer ! Alors ton point de vue me « rassure » un peu.Qu’est-ce qui t’a déplu au juste ? Est-ce ce qu’il raconte, ou sa façon de le faire ?

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  1. Je ne l’ai pas lu, je ne peux donc entrer dans le débat !
    Par contre, oui, tu as le droit absolu de ne pas aimer, et surtout celui de ne pas te faire le caméléon de la pensée dominante … C’est aussi pour cette subjectivité assumée que nous venons te lire …. (qui se targuerait d’atteindre l’objectivité absolue serait un imposteur, non ??!!)

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  2. Nous nous rejoignons.
    Je ne l’ai pas fini. Oui, l’écriture est franchement pas terrible, mais bon, premier roman, et tout, j’ai essayé d’aller plus loin.
    Le problème, c’est la haine. La haine qu’on ressent à travers les pages, ce livre n’est pas un roman, c’est un bon vieux coup de gueule ni plus ni moins. Je suis d’accord sur le fond, sur l’horreur de l’homophobie, ça, oui, c’est extrêmement important que les gens en parle. C’est la forme qui ne va pas. Trop de colère, pas assez de recul. Il aurait mérité d’être un peu plus posé, plus convaincant, quitte à repousser la publication de quelques années. Sans vouloir pousser trop loin la comparaison, on sent encore un peu de colère (cependant très justifiée) d’adolescent. Je n’aime pas trop non plus le côté « je lave mon linge sale en public sans rien dire à ma famille », mais il l’assume pleinement et cette opinion n’engageant que moi et ma perception de la famille, je n’ai plus rien à dire.
    Je l’ai entendu parler dans une interview, il disait vouloir parler des classes inférieures, vu qu’il fait de la sociologie. Ca m’a achevée, et m’a même révoltée. Ce livre n’a rien de sociologique, puisqu’il a d’office un parti pris, et je peux le comprendre, mais qu’on n’évoque pas les essais dans ce cas. Il n’y aucune concession, aucune constatation de faits. Cela voudrait-il dire que seules les classes sociales inférieures sont capables d’un tel sexisme, d’un tel racisme, d’une telle intolérance, en plus d’être ignorantes, vu comme il les décrit? Jamais rien entendu de plus idiot.
    Au final, la folie médiatique m’a agacée, comme le consensus. C’est comme si on se rendait compte que l’homophobie existe ailleurs qu’à la télé et que quand on a eu mal on peut s’en sortir et devenir un brillant écrivain-étudiant en sociologie de 21 ans, et qu’on l’a bien exposé dans tous les médias possibles. Dans ce cas, on peut bien faire quelque chose dans le même esprit sur tous les sujets « sensibles », alors pourquoi pas, au choix, les violences faites aux femmes, l’inceste et autres réjouissances. Sauf que l’autofiction a ses limites, et que là, elles sont clairement dépassées.
    Au fond, j’ai du mal à voir cet Eddy autrement qu’un grand adolescent, qui, s’il a vécu des choses terribles, a encore du mal à faire la part des choses.

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    • Ben voilà…Je suis totalement d’accord; le lien entre pauvres et connerie( au fond, c’est un peu ça ) est facile et totalement subjectif. Mon fils est sociologue, je serais curieux de savoir ce qu’il penserait de ce livre; il ne travaille pas sur ce sujet…Et il est bourdieusien. Comme toi, Mary, je trouve que là, l’autofiction a passé les limites, mais surtout, je trouve que la littérature ne peut pas être un alibi pour au fond cacher le manque de courage( voire la lâcheté, si je veux être plus sévère )…D’aucuns pourront dire que vivre ça , c’est dur( c’est vrai ) et qu’il avait besoin de dire, mais il aurait dû choisir et assumer la totale authenticité de ce qu’il raconte, l’autobiographie et pas le roman. Ce livre est un réglage de comptes en bonne et due forme, point final.Je ne vais pas te paraphraser, on ets vraiment d’accord. Un débat serait intéressant. Si Eddy allait voir qui a défilé dans les villes pour cracher sa haine de la différence, il verrait que ce ne sont pas les prolos, mais des bourgeois bon teint. Et puis voilà ! Nous aussi on est en colère, n’est-ce pas, Mary ? Je le sens à tes mots ! Et ça me plait ! Dis-mi donc pourquoi je n’ose pas exploser comme toi ???
      Si tu as le temps, lis « Lambeaux », tu aimeras, j’en suis certaine !
      Bises et re-bises

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  3. Oui, c’est vrai que je suis en colère, parce que peu de choses me font plus sortir de mes gonds que l’intolérance, déjà, et que c’est pas avec ce genre d’ouvrage et de témoignage qu’on va régler le problème, quand bien même il va parler de son livre absolument partout.
    La surmédiatisation en général m’énerve, en plus, ce qui explique que les livres dont tout le monde parle, en général je me méfie – ce qui a parfois comme conséquence de me faire passer à côté de petits bijoux. 🙂
    Ce que je n’ai pas supporté là-dedans, c’est qu’on le montre presque en animal de foire comme modèle en quelque sorte, surtout que le contexte social s’y prêtait, renforçant l’hypocrisie de la chose. C’était le bon gagnant dont on parlait pour se rassurer…pour se rassurer que l’homophobie n’existe pas chez les bonnes gens, etc, et au final desservait plus que servait la cause de l’égalité concernant l’homophobie.
    Quant à l’explosion…ma foi je ne sais pas. Je pense que j’ai dû apprendre à ne pas me taire 🙂
    Essaie, ça défoule de temps à autre.:D

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    • Je suis née d’une timidité maladive. Déjà, si on m’avait dit qu’un jour je tiendrais un blog et que je lirais en public, je me serais roulée de rire ! Et donc, l’explosion arrive avec l’âge, quand on ne redoute plus le regard des autres. Plein de gens ne comprennent pas ça : la timidité est un handicap. Mia passons : oui, c’est le bon gagnant, le stéréotype qu’on montre et oui encore, sorti au bon, excellent moment, pour les médias en particulier.
      Comme toi encore, méfiance sur la surmédiatisation ( je pense là à « Une éducation libertine » par exemple de JB Del Amo , une colère m’a prise en lisant ce truc encensé : pauvre singerie de Sade et Süskind, pitoyable ! Tous ces adjectifs mis bout à bout, formant des trucs vides de sens…Pffff ! ), et sûrement on rate des choses, mais tant de déceptions…Il y a tant à lire, n’est-ce pas ?On va pas se laisser enquiquiner tout de même !

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    • Eh bien Evelyne, je n’ai pas le livre de Yann Moix – et je ne pense pas le lire ! -, je ne suis déjà pas amatrice d’autobiographie ou « d’autofiction », comme il se dit (pratique, ça dédouane de certaines choses ! ). Ici c’est …le récit ? d’un enfant qui se sait homosexuel depuis toujours, né dans un milieu social prolétaire, pauvre, dans un village où semble-t-il ne sont pas des crétins que les gens un peu riches, bref, il n’a pas eu de chance. Son histoire est terrible, pas unique en son genre ( le livre de Didier Eribon est très intéressant ET bien écrit ), mais c’est mal écrit, et comme le dit Mary, plein de haine. Je n’ai pas aimé sur la forme, sur le ton, et sur le manque de recul qu’on sent dans ce roman qui n’en est pas un. 200pages, c’est vite lu, et vite oublié.

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  4. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup aimé le livre d’Edouard Louis. C’est vrai que le fait qu’il soit présenté comme un roman pose problème. D’autant plus que dans les médias l’auteur le présentait au contraire comme une autobiographie. Le statut de « roman autobiographique » est pourtant le seul qui convienne. A partir du moment où on admet qu’il y a une part d’invention romanesque, cela n’a plus de sens d’aller vérifier les dires de l’auteur sur le terrain en interrogeant sa famille. Mais surtout ce que j’avais aimé dans ce roman c’était la manière dont il révélait le milieu d’où il vient et ses valeurs par la langue. Je n’ai pas trouvé que c’était un livre à charge contre sa famille. Il y a sans doute des maladresses, mais il me semble qu’il a quand même l’excuse de la jeunesse. En tous cas c’est le livre le plus intéressant que j’ai lu parmi les nouveautés de l’année.
    J’avais aussi apprécié le livre de Didier Eribon, mais il s’agissait d’un travail plus académique et moins littéraire. Mais je note qu’il faudra que je lise Lambeaux…

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    • Lambeaux, dans le thème, n’a pas de rapport avec le livre d’Edouard Louis. mais il est un texte biographique et d’une grande beauté littéraire . Certes, Edouard Louis est jeune, très jeune, et ce qui m’a le plus gêné c’est l’écriture, que j’ai trouvé mauvaise. Sur le reste, difficile de savoir le vrai du faux, et au fond, oui, on s’en fiche. En tous cas, ravie d votre visite chez moi ! 🙂

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