Je vous ai dit dans mon article sur les Quais du Polar, que j’ai échangé quelques mots avec Rafael Reig, un homme aimable, souriant, drôle…et talentueux, j’en suis convaincue en fermant ce roman d’une noirceur déroutante. Je quitte un univers confus, glauque, plein de bassesses, de sexualité que je qualifierais de « sale » – je modère mon langage ? dégueulasse …-, des personnages qui dans leur majorité sont vils, méchants et lâches. « Elle est dingue, ou quoi de lire des trucs pareils? » Non non parce qu’ avant tout, j’ai lu ici un roman, qui s’il est très noir est aussi très brillant dans sa construction, sa langue ( bravo à la traductrice ! ) et la réflexion qui sous- tend ces pages et qui est, de mon point de vue, l’essentiel que veut faire passer Reig. Je n’étais qu’au début de ma lecture quand j’ai discuté avec lui, mais on a été d’accord sur le fait que c’est un livre à trois voix ( bon, facile et j’adore les livres écrits à plusieurs points de vue ) et surtout qu’il y a un livre dans le livre, et que dans ces trois voix, une est celle du personnage du livre dans le livre, vous me suivez ?
Les trois narrateurs sont Carlos, poète miteux, qui emmène son fils de 14 ans, Jorge, en montagne, » pour en faire un homme »; Carmen, l’ex-épouse qui travaille chez un éditeur, une des rares à attirer la sympathie et la seule qui soit à peu près saine d’esprit ; et enfin Antonio Riquelme dit Toni, petit voyou sans envergure, « héros » du roman écrit par Carlos, dont il laisse le manuscrit à Carmen pour qu’elle le lise, avant qu’il parte avec Jorge.
Ça va ? Vous avez le plan en tête ? Les personnages principaux étant posés, je ne vous en dirai pas plus sur le déroulement des évènements ( le tout se produit sur trois jours, si j’ai bien compté ), parce que ce serait vous gâcher le plaisir, mais je peux vous dire que c’est ici le personnage fictionnel, Toni, qui mène le bal – bien malgré lui toutefois – qu’on rencontre des êtres abominables, qu’on assiste à des scènes épouvantables, le tout dans une prose exceptionnelle ( dans la mesure où on accepte le langage cru, vulgaire et pire comme métaphore des esprits bas ). Beaucoup de superlatifs me direz-vous, mais j’assume et je confirme et signe.
Le discours est d’une grande intelligence, abordant des sujets comme la relation père-fils ( je n’ai pas pu m’empêcher de penser à « Sukkwan Island » de David Vann ), mais surtout une analyse à laquelle j’adhère totalement comme lectrice sur l’effet miroir de la lecture. Et ici, page 150, Rafael Reig expose clairement sa thèse par le biais de Carmen en train de lire le roman de Carlos :
» Ça, c’est tout le problème avec la lecture, vous projetez sur le texte l’ombre de vos désirs ou de vos craintes, votre ombre à vous obscurcit la page jusqu’à ce que vous ne lisiez plus que ce que vous vous attendez à lire, et tout parle de vous […].Ce qui est écrit est toujours plein de contradictions, de changements de ton, d’impasses, d’omissions alarmantes ou de détails inutiles : seule la foi en l’auteur résout le sens de la lecture, on ne peut lire qu’en croyant qu’il y a un auteur, quelqu’un qui se rend responsable.
L’auteur est dans le livre, pas dehors. C’est le livre qui, pour être lu, nous oblige à imaginer qu’il a un auteur. Nous inventons l’auteur comme nous inventons des dieux. Qu’est-ce qu’elle fabrique là, cette description indigeste de trois pages ? Faites confiance à l’auteur : ses voies sont impénétrables, mais il sait où nous allons, il écrit droit avec des lignes courbes. Quel sens ça aurait de lire sans foi, si on ne croyait pas à l’au-delà, à l’auteur en dehors du livre qui l’a créé, quelqu’un qui a une explication pour le chapitre que nous ne méritons pas, une raison qui justifie ces dialogues absurdes, une fin heureuse qui compense tant d’ennui ?
Peut-être que c’est pour ça que les critiques parlent de « l’intention de l’auteur », comme on parle des « desseins du Seigneur ». »
Enfin, et pour finir, petit ornement que Reig ajoute à la fin des chapitres de Riquelme : une définition de mots croisés, dont la résolution donne le mot qui débute le chapitre suivant, comme :
« Vertical. En huit lettres. Avec un L, celui de bouleversé. Cause ou force à laquelle on attribue la détermination de ce qui doit arriver. »
Vous avez trouvé ? Si non, lisez ce terrible roman, « Ce qui n’est pas écrit », dont on ne sort pas indemne quand on est un lecteur tel que le définit Reig, vous aurez la réponse.
Allez, écoutez cet auteur qui nous promet de belles choses, à nous, lecteurs.
Je me laisserais tenter, mais j’ai quelques Gallmeister à terminer 🙂 Je viens de finir « Serena », je suis bluffée. Article dans peu de temps, et même un film en septembre ! Compte tenu de l’écriture presque visuelle du roman, ça peut donner quelque chose de bien – même si je me méfie toujours un peu des adaptations.
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Contente que Serena t’ai plu, mais c’était évident pour moi… Ah oui un film ? Qui va réaliser ? C’est vrai que ça s’y prête; tu sais qui fait le film ? Moi aussi, je me méfie des adaptations,mais il y a parfois de belles surprises ( La dernière séance d’après McMurtry par Bogdanovitch ou Shutter Island d’après Lehane sont de vraies réussites je trouve. Les amerloques seraient-ils meilleurs que nous pour ça…aussi ?)
Pour ce terrible roman noir de Reig, sûr, ça ne plaira pas à tout le monde, c’est hyper glauque à certains moments, et les relations familiales sont juste atroces ! J’ai aimé
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ce bouquin attise vraiment ma curiosité, j’ai lu des avis très différents sur ce livre, preuve qu’il ne laisse pas indifférent. Ton bel avis me pousse plutôt dans mon envie de m’y pencher, merci !
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ah ! très particulier, c’est sûr, plus noir que polar au sens strict du terme, mais surtout, si tu écoutes ce que Reig dit de son livre, c’est un livre sur la violence sourde des familles, psychologique, c’est un texte parfois sordide, mais n’empêche qu’on ne peut pas continuer parce que la construction sans cesse te pousse à poursuivre. Fin déstabilisante. Certes ça ne peut pas plaire à tout le monde, comme « Pike » de Benjamin Whitmer si tu l’as lu, plein de gens détestent parce que c’est très très noir, moi j’aime parce qu’il est dit des choses importantes derrière tout ça et puis j’ai trouvé Reig très gentil et doux et ça me botte les gens comme lui, si doux et pourtant si méchant dans son écriture !
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le noir ne me fait pas peur, et je pense qu’au contraire le noir (quand il est bon) dit toujours des choses : sur notre société, la psychologie… C’est un moyen exceptionnel pour en apprendre davantage sur la nature humaine.
Quant à sa gentillesse tu ne fais que confirmer ce que je pense depuis un moment, les auteurs du noir sont en général des gens sains et charmants 😉
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Tout à fait d’accord avec toi !
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je viens de chez la fée et te souhaite un très bon anniversaire de mariage. Je ne suis pas polar, mais par contre j’aime beaucoup lire. Je suis actuellement avec Modiano après avoir lue Séraphine de Senlis (j’habite à côté). Bonne journée. EVELYNE
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Très gentil ! merci ! Je ne lis pas que du polar, j’aime plein de choses très différentes, alors si ça vous dit, regardez la page : ceux dont j’ai parlé ! Séraphine, et Modiano, rien à redire !!!
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très, très tentant !
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Euh … Mauvaise blague : c’est pas doux, mais c’est un choc !
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