Je viens de terminer ce livre, que je n’arrive pas à qualifier, roman ou documentaire. Récit peut-être… Mais est-il besoin de lui donner un qualificatif ?
Il m’a fait renouer avec une lecture avide d’aller à la page suivante.
Le quai de Serin et les usines Gillet
Le choix des libraires : Choix de Christine Galaverna de la librairie LE MARQUE PAGE à SAINT- MARCELLIN, France (visiter son site) – 21/09/2010
« Il n’y a jamais eu de chambre à gaz à Mauthausen, affirme posément Florian ». Première phrase du roman et sa motivation première : le grand-père de l’auteur a été déporté à Mauthausen, il a vu les chambres à gaz, comme des milliers d’autres, et pourtant son témoignage est mis en question des années plus tard. Répondre à l’ignoble par un roman.
Un roman qui n’est cependant pas seulement un roman sur la guerre. Il va également au-delà de la chronique familiale, même si le point de départ est de rendre hommage à ses grands-parents. Il prend plutôt la forme d’une épopée : celle des hommes qui ont fui la misère de l’Andalousie, qui ont cru en la République espagnole, qui ont participé à la guerre d’Espagne pour sauver cette liberté dont ils avaient tant envie et besoin, qui ont connu une autre guerre, une autre barbarie, sont morts ou ont survécu, comme Antonio. Au destin d’Antonio et Isabel répond celui des Gillet, riche famille d’industriels lyonnais qui traversent les crises à leur manière, pas toujours très propre.
Antoine et Isabelle est un roman chorale où se mêlent destins individuels et familiaux, où l’histoire de chacun donne son relief à l’Histoire avec un grand H et inversement.
Un formidable roman à la construction complexe, à l’écriture incisive qui retrace avec virtuosité l’histoire du premier quart du XXe siècle.
Et c’est ainsi que Vincent Borel narre le parcours de ses grands-parents espagnols, un couple engagé qui ne renoncera jamais à ses convictions . Parallèlement à ces destins de misère et de combat, Lyon, Villa Gillet, et la bourgeoisie industrielle de ce début de XXème siècle. Issue d’un soyeux ingénieux qui, grâce à la mise au point de teintures, va développer l’industrie chimique lyonnaise, la famille Gillet ( bien réelle ) sera une des plus riches familles de France, à l’origine de sociétés telles que Rhône-Poulenc ou encore Rhodia.
Les temps de guerre vont diversifier les productions. Quel lien entre Antonio et Isabel et la famille Gillet, me direz-vous ? Un lien qui peut sembler ténu, mais…Les quelques compromis et petits arrangements avec le climat plus que trouble de l’époque verront les usines Gillet exporter en quantités conséquentes le tristement célèbre Zyklon B ( utilisé au départ comme antiparasite et insecticide…) celui dont Antonio verra un tout autre usage au camp de Mauthausen.
J’ai trouvé ce livre passionnant et cette période y est dépeinte très clairement. On a beaucoup reproché à Vincent Borel ne n’avoir pas provoqué d’empathie pour ses personnages. Je ne trouve pas ça tout à fait vrai en ce qui me concerne; mais il est vrai que l’écriture hésite entre récit documentaire et roman. Je me dis que peut-être c’est cette proximité familiale , forcément sensible, qui le freine, pour ne pas tomber dans le « pathos », ce qui serait aisé compte tenu du tragique de ces destins. Peut-être est-ce aussi une façon argumentaire de défendre la vérité face aux négationnistes. Il intègre à son livre quelques textes que son grand-père a écrit à sa libération de Mauthausen. Antonio et Isabel seront naturalisés français à la Libération…Et Vincent Borel a, lui, demandé et obtenu la nationalité espagnole.
J’ai beaucoup appris, surtout sur ces années de guerre à Lyon. Le bureau du 8 Place des Terreaux fait frémir quand on y pense…De quoi je parle ? Lisez ce livre et vous l’apprendrez.