Deux livres chez Actes Sud : un court roman et un tout petit recueil de nouvelles.

« Après et avant Dieu » – Octavio Escobar Giraldo, traduit par Anne Proenza

« -Mme Carmelita pleure! s’exclama Bibiana de sa voix d’ange blessé en soutenant les jambes de ma mère.

Je cessai un court instant de soulever le corps; puis fléchissant les genoux, je repris mon élan vers le lit matrimonial. »

Un drôle de petit roman venu de Colombie, un livre qui l’air de rien grince assez fort sur la société de ce pays et qui en 188 pages se moque et démolit quelques tabous – qui d’ailleurs ne s’appliquent pas qu’à la Colombie-. C’est si court qu’il est difficile d’écrire quelque chose sans donner le cœur de l’histoire, aussi je me contenterai de peu : Manizales, petite ville provinciale et extrêmement pieuse, chacun ici joue le jeu des bonnes manières, de la respectabilité et de la piété.

 » Je suis moche mais je m’arrange »

La narratrice, jeune femme au physique ingrat qui a ruiné sa famille de bien vilaine manière s’enfuit avec Bibiana, la domestique indigène.

« Bibiana se leva, vêtue du slip blanc à fleurs jaunes, avec un petit nœud derrière, avec lequel elle avait dormi; j’appris ensuite que c’était un Victoria’s Secret et qu’elle l’avait commandé à une cousine qui rapportait des marchandises en contrebande du Panamá pour me faire une surprise. »

Le sel de ce livre repose dans la dichotomie de la narratrice, entre péchés mortels et foi absolue dans sa rédemption. Dans sa fuite, elle devra faire face à ce dilemme permanent, dévergondée par une Bibiana tentatrice, jusqu’à ce que la famille et « l’ordre » la rattrapent, l’oncle Anibal et le bel Eduardo Correa. Fin surprenante, on peut aussi lire ce livre comme un roman policier, mais pour moi c’est plus une belle tirade contre l’hypocrisie et la corruption, toutes les corruptions. Et sous une langue policée et très sage, cet Octavio est extrêmement corrosif. J’ai bien aimé cette lecture.

Eduardo écoute Deep Purple

« Sensations fortes »  – Nancy Huston

Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu quoi que ce soit de Nancy Huston. J’ai abandonné « Danse noire » – peut-être le lirai-je un jour – mais cette femme que j’ai eu l’occasion d’écouter lors d’une rencontre organisée avec un libraire il y a quelques années, pour son roman « Infrarouge », m’a enthousiasmée avec ses plus anciens romans, en particulier « Dolce agonia »,  « Ligne de faille » et de nombreux autres. J’avais aussi beaucoup aimé son essai « Nord perdu » suivi de « Douze France ».

J’y reviens donc avec ce très joli petit objet dans une collection que je ne connaissais pas encore chez Actes Sud, Essences, un recueil de très brèves nouvelles, neuf au total en 88 pages. J’en connaissais une éditée chez Belfond dans un recueil en collaboration avec Leïla Sebbar, « Dix-sept écrivains racontent. Une enfance d’ailleurs. » paru en 1993. 

Cette nouvelle-ci est sans doute la plus « concrète »  et autobiographique ( comme trois autres il me semble) :

« Il était difficile, dans la famille Huston, de quitter Edmonton en 1960. Nous fûmes deux couples à faire l’impossible pour le quitter: mon père et sa toute nouvelle épouse; mon frère aîné et moi. Eux rêvaient d’un voyage de noces et nous d’une fugue définitive, mais le destin nous refusa, aux une et aux autres, ces humbles joies. »

Les autres pour la plupart sont extrêmement oniriques, liées au rêve ou au cauchemar et le titre, « Sensations fortes » résume très bien ces courtes expériences de la vie, intenses, souvent ici douloureuses, perturbantes. Ce dernier vocable accompagne pour moi cette lecture, tant Nancy Huston sait créer le malaise, même si l’ironie adoucit parfois tout ça. En tous cas si je devais retenir dans ces pages un texte ce serait « Les places numérotées », terriblement d’actualité, terrifiant dans la crudité de son propos, d’une grande violence, et voici comme j’aime cette auteure: jamais dans le lieu commun, mais toujours beaucoup plus fine et précise, plus indépendante d’esprit que la moyenne, hors des clous quoi qu’il puisse lui en coûter. Et puis « Carpentras » aussi…Huston est une écrivaine bien à part, dérangeante, parfois inabordable – selon les moments de la vie que l’on traverse, on la lira ou pas – , complexe, déroutante, et jamais très consensuelle. Et une écriture sublime, quand l’apaisement semble venir et que la poésie vient se poser sur l’horreur

« Au bout d’un moment, la lune pâlit, des gouttes de rosée se forment sur les roses dans leurs pots fracassés, et els cigales reprennent leur scie invariable. Le soleil, sans état d’âme, toujours égalitaire, se lève et brille sur le gâchis. Du point de vue du soleil, rien n’a changé à Carpentras. Peu à peu, la rosée s’évapore. Un merle émet un riff de jazz génétique. C’est le printemps, le joli mois de mai. « 

Terrible recueil au bout du compte qui a réveillé en moi l’envie de relire Nancy Huston. 

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