« Il en a fallu du temps pour que ce petit coin de pays se défasse du souvenir de l’effroyable fait divers qui l’a marqué au cours de l’été 2002… Dans les quotidiens et les hebdos nationaux, au journal télévisé, bien évidemment dans la presse à sensation : il est passé partout. À nous, habitants acharnés ou passionnés de cette terre dépeuplée, il a fait une publicité mauvaise et morbide; beaucoup de gens aujourd’hui encore ne connaissent notre région que par cette triste chronique. »
C’est l’été et allez savoir pourquoi plus maintenant que le reste du temps, je donne une chance aux livres qui attendent depuis longtemps sur la bibliothèque. Je les sors, les ouvre, les aère et enfin, je les lis ! Et celui-ci étant court, il était parfait pour le moment, avant de me plonger dans un gros roman bien lourd et bien touffu ! J’ai vu et entendu Sandrine Collette à plusieurs reprises, à Lyon, à Brive et à la télévision et j’avais très envie de la lire.
J’ai beaucoup aimé ce petit roman très noir ( prix de littérature « policière », et s’il faut donner un genre c’est bien plus du roman noir à mon sens ) et en particulier la qualité de l’écriture. Car il faut bien le dire de nombreux livres sortent avec des sujets qui se rapprochent, des livres auxquels on se dépêche de coller une étiquette – plus ou moins vendeuse – et pour moi c’est l’écriture qui fait la différence. Et elle est faite ici avec la plume de cette écrivaine. C’est très structuré, la langue est précise, juste, travaillée sur la forme des personnages. Il y a un rythme donné à cette histoire affreuse qui la rend encore plus insoutenable. Faut-il vraiment vous résumer le scénario ? Ce livre a déjà quelques années, et je trouve qu’à l’instar de notre consommation de tout, on ne fait pas assez vivre les choses, pas assez longtemps; donc il me plait de parler parfois de livres un peu voire très anciens. Et j’ai du stock…
Ici c’est typiquement le livre dont il ne faut rien dire, ou alors, juste l’amorce.
La narratrice est médecin et c’est elle qui a lu le journal de Théo Béranger, c’est elle qui l’a reçu un jour dans ses services et c’est elle encore qui a tenté de le sauver. On sent bien que cette histoire l’a marquée à jamais. Au début du roman, cette femme qui nous parle de Théo et qui présente au lecteur cette tragédie démontre déjà le talent de l’auteure; le registre de langage est impeccable et plein d’humanité, sans la froideur attribuée au monde médical parfois, il est empathique mais sans pathos et on sent là un personnage intelligent et sensible.
Ainsi Théo, 40 ans et tout juste sorti de prison, part à la campagne pour marcher, marcher pour retrouver le mouvement de la vie, retrouver son corps, bouger, s’apaiser. Il loue une chambre chez une charmante vieille dame qui le guide pour ses randonnées et lui indique les chemins les plus beaux. Et un jour, ce sera le plus dangereux. Il va faire ce qu’on appelle une mauvaise rencontre et ainsi commence le cauchemar et la séquestration. Je n’en dis pas plus, mais j’ai été impressionnée par la violence décrite par Sandrine Collette avec un vocabulaire si choisi qu’on a réellement l’image sous les yeux:
« Jamais je n’ai passé une main sur un corps aussi abîmé que le mien quand j’ai eu commencé à retrouver mes esprits, des jours plus tard. Mon visage était maculé de sang séché, qui m’avait coulé dans le cou. Les os de mes jambes et de mes bras étaient grêlés de bosses et de trous; j’avais si mal que j’ai été longtemps persuadé d’avoir de multiples fractures. Pourtant rien ne semblait cassé, sauf peut-être mon nez, qui m’infligeait une douleur continue. Mais je ne voyais pas comment vérifier. Le reste de mon corps n’était qu’une lamentation, un lambeau tout juste vivant. De jour en jour j’ai regardé bleuir puis jaunir ma peau couverte de marques de coups. On aurait dit un clown entièrement maquillé pour un spectacle étrange. J’ai enlevé les chiffons sur la blessure de mon bras, que ces salopards n’avaient pas touché. Le tissu était collé à la plaie. Je tremblais de fièvre. J’ai perdu conscience plusieurs fois, encore. «
Mais pour autant si les descriptions physiques sont puissantes, c’est pour moi surtout sur l’évolution psychique de Théo que Sandrine Collette est très forte. Elle va chercher avec son scalpel dans les méandres du cerveau de Théo encore plus meurtri que son corps, elle nous met à jour ce qui s’y passe et ça fait très peur. Tout autant elle dresse un portrait des bourreaux à faire frémir. L’emprise du mal, si on voulait aller très vite. La destruction d’un homme, jusqu’où aussi un homme peut tomber, qu’il soit bourreau ou victime. On comprend au fil des pages ce que veut dire le médecin au début à propos de sa région atteinte par cette histoire, car l’image des bourreaux est ravageuse, forcément, pour celle de la population locale.
Quand Théo va se trouver pris au piège dans cette maison à l’écart, il n’est pas seul, ce qui rend l’histoire encore plus horrible, vous verrez…Malgré sa résistance mentale et physique, il va plier, peu à peu mais inexorablement. Et voici, alors que dans son cachot il observe une coccinelle, dans un de ces moments contemplatifs, sortes de batailles contre l’enfer, pauses, échappées, alors donc qu’il est plongé dans ce moment d’observation
« Soudain le mugissement déchire l’air.
C’est venu comme dans un film d’horreur, d’un seul coup, sans prévenir. Oubliant l’insecte en une fraction de seconde, je me plaque au mur, épouvanté par ce cri à peine humain.
Sans doute trop humain. Une stridulation terrible.
Et puis le hululement. »
C’est véritablement l’horreur que va vivre Théo dans les derniers chapitres du roman et quand je dis l’horreur, c’est bien faible. Je ne vous raconte donc pas pourquoi il était en prison, ce qu’était sa vie avant la prison, ni le détail de ce qui se déroule dans ce livre. Sandrine Collette, elle, a tous les mots qu’il faut et c’est pour ça que je vous conseille vraiment de lire cet excellent petit roman noir, intelligent et très très bien écrit.
« Les feuilles ont commencé de tomber. C’est la fin de l’automne. Depuis mon bureau, je regarde Théo et ma gorge se noue en voyant ses mains posées sur ses genoux, son attente calme et sans espoir. D’une tristesse infinie.
Cet homme est seul tout au fond de lui, brisé, piétiné.
Parfois sur son banc, il me fait penser à une poupée ou à une peluche qu’on aurait posée là et que personne ne serait revenu chercher. Oui, un petit ours sur un bac trop grand pour lui, étonné d’être toujours solitaire.
Un petit ours attendant que quelqu’un passe et le prenne dans ses bras, le regard droit, courageux et perdu. »
J’ai lu trois ou quatre de ses romans et celui-ci reste mon favori, par son implacabilité peut-être, cette terrible sortie de l’humanité.
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Oui, et vraiment écriture impeccable, on y sent l’intelligence, c’est sûrement très travaillé mais ça ne se sent pas, et en effet implacable et effrayant
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Je vais certainement en parler aussi – je l’ai lu il y a quelques semaines … je ne suis pas aussi enthousiaste que toi – pour moi il est trop travaillé/trop « lisse » malgré l’horreur… mais toutàfé d’acc’ avec la belle description de la terreur qui s’installe…
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J’ai vu ça , ce ton « lisse », comme une mise à distance de la narratrice qui est celle qui « récupère » l’homme, ce qu’il en reste et ce ton est caractéristique de l’armure défensive que doivent se mettre les médecins dans de tels cas…Enfin je l’ai senti comme ça. Bon, je trouve que c’est de bonne qualité dans le paysage noir français, sans être un coup de cœur non plus.
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Bonjour Simone, c’est le seul roman que Sandrine Collette que j’ai lu à ce jour et je ne m’en suis pas encore remise. Quelle noirceur! Bonne après-midi.
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Bien d’accord, très très noir. J’aime assez ça à vrai dire; aurais-je mauvais esprit ? 🙂
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En ces temps de confinement, je li encore plus et j’essaie de découvrir de nouveaux auteurs. La bibliothèque communale est fermée mais mettent à la disposition des gens des paquets comportant chacun 10 livres et 10 CD et/ou DVD. Je vais chercher mon deuxième paquet demain, et parmis les livres que j’ai choisi, « Six fourmis blanches » de Sandrine Collette, « Des nœuds d’acier » étant emprunté. C’est une auteure qui m’attire plus que les autres écrivain(e)s francphones. J’ai lu quelques extraits qui m’ont plu et je voulais voir ce que tu en pensais parce que nous avons en général les mêmes goûts en littérature et parce que je te fais confiance! Je te donnerai mes impressions de « Six fourmis blanches »!
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Chère Wivine, je n’ai lu que celui ci, et je le regrette, mais j’espère avoir assez de temps de vie pour en lire d’autres. J’avais trouvé ce livre excellent, alors j’attends tes impressions, et je t’embrasse.
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