« Le soir de la Saint -Sylvestre, sous l’influence d’un triple lumumba, Erhard décide de se mettre en quête d’une nouvelle compagne. Encore que nouvelle ne soit peut-être pas le terme le plus approprié. Peu importe après tout qu’elle soit nouvelle, jolie, gentille ou amusante, du moment qu’elle est chaleureuse.[…].Dans quelques années à peine, il faudra aussi qu’elle accepte de vider son pot de chambre, de le raser et de lui retirer ses chaussures après une journée entière passée dans sa voiture, si tant est qu’il puisse encore conduire. «
Voici un nouvel auteur danois, jeune auteur et premier roman très prometteur. Un roman très particulier, une ambiance particulière que j’ai un peu de mal à définir.
L’histoire se déroule à Fuerteventura, île des Canaries chaude et ventée. Ici vit Erhard, homme vieillissant – qui à 60 ans se sent vieux -. Il est danois et a abandonné au Danemark sa femme et ses deux petites filles, auxquelles il envoie depuis de nombreuses années de l’argent tous les mois. Surnommé l’Ermite, il subvient à ses besoins en exerçant les professions d’accordeur de pianos et de chauffeur de taxi. Partagé entre ses activités et un couple d’amis, Raúl et Beatriz, avec lesquels il discute et boit des lumumbas ou des mai tai qui le font décoller de son quotidien, il mène une vie au final assez solitaire et sobre.
Sinon, eh bien il partage avec Laurel et Hardy, deux chèvres, sa maisonnette à l’écart de la ville. Un jour, une voiture est échouée sur la plage. Dans la voiture un carton, dans le carton un bébé de 3 mois, mort. La police se désintéresse totalement de l’affaire, mais Erhard lui, va vouloir savoir, comprendre, pris comme d’une obsession de savoir qui est ce petit mort si vite, quelle est son histoire. Comme Erhard est totalement déconnecté – pas de téléphone portable ni d’ordinateur et aucune connaissance de leurs usages – voici le récit pas à pas de l’enquête d’un vieil homme solitaire, qui aime les livres et ses chèvres, une enquête à l’ancienne.
Cela donne lieu à une narration au présent qui nous fait pénétrer dans les rouages mentaux de cet homme. Hors ses démêlés délicats avec ses collègues, son patron, ses clients, les femmes, ses difficultés avec sa vessie et sa sexualité, on rencontre un homme courageux, porté par son goût de connaître la vérité. Quelque chose le bouleverse dans la vision de ce petit corps mort, posé dans ce carton. Quelle histoire se cache dans cette scène si triste ? Erhard va se retrouver assez vite pris dans une histoire plus dangereuse qu’il ne croit.
J’ai beaucoup aimé ce personnage, anti-héros dans toute sa splendeur, homme du commun ( en apparence ) avec ses pulsions, ses hontes et ses lâchetés aussi, un homme ordinaire comme on dit… Intelligent, on ne sait pas grand chose de son passé au Danemark, si ce n’est qu’il y a laissé femme et enfants, mais cet homme est intelligent. On ne sait pas ce qui l’a fait choisir sa vie ici précisément à Fuerteventura. Il est donc aussi un homme mystérieux.
« Il regarde la mer. Rien ne change. Pas un nuage. Rien que le flot hypnotique des vagues, qui luttent à hauteur de genou, restent dressées, se mettent à courir et retombent sur les rochers pour ensuite disparaître. Ciel pur. L’invisible reprend tout. Tout est bleu. Tout est blanc. Comme l’année dernière. Et l’année d’avant. Ce n’est pas aussi poétique que ça en a l’air. »
Ensuite très étrange impression sur les lieux, comme si l’austérité du nord se mêlait à la touffeur du sud. En lisant, c’était comme si les sons étaient étouffés, une absence d’odeurs et de voix, comme si tout était sous un voile. Le sud dans la tête d’un homme du nord, on navigue dans les circonvolutions de son cerveau où l’extérieur est filtré par sa réflexion. Et on le suit dans ses péripéties, les retournements de situation, les déceptions, les chocs émotionnels et les bagarres. Tout est extrêmement réaliste, il en bave parce qu’il est ordinaire, ni sportif, ni jeune et fringant, et c’est ce côté qui m’a plu, c’est un défi d’écrire un tel roman avec ce genre de personnage.
Je pense que la réussite est dans l’écriture sobre, au fil des pensées du personnage, écriture parfois crue, et finalement en particulier dans les dialogues, sous tension. Ce livre prend son temps, il avance à la vitesse d’Erhard, sans téléphone portable et sans internet, mais obstinément. Le tenace Erhard saura qui était cet enfant, et pourquoi il n’eut pour tout cercueil qu’un pauvre carton et les pages d’un journal danois pour tout linceul.
Le passage le plus représentatif pour moi de l’état d’esprit et de cœur d’Erhard, ce qui le motive à chercher la vérité :
« Il le voit tout à coup. Il est allongé dans l’obscurité au fond du carton, bleu pâle, luminescent. Allongé parmi les morceaux de journal comme un oisillon sur un nid d’épines. Ses cheveux disparaissent dans l’obscurité. Ses yeux bruns sont durs, épuisés par les pleurs. Il ne crie pas, il est silencieux. Ses doigts gourds reposent sur le bord tranchant du carton. Arraché à sa mère, au bout de douze semaines, non pas dans le ventre mais dans le monde. Un avortement raté avec des cheveux et des pouces. Le pire n’est pas qu’il soit mort, que ses parents l’aient tué, mais qu’ils l’aient laissé vivre, qu’ils l’aient gardé en vie pendant trois mois avant de le faire. Trois mois sans amour, trois mois sans contact visuel ni soins, sans tétine ni nounours, sans baiser chuchotant ni regard admiratif par-dessus les barreaux du petit lit, sans main caressante dans l’obscurité. Trois mois d’indifférence, avant de l’abandonner, de l’emballer dans un carton et de le renvoyer comme un paquet à une adresse inconnue. »
De beaux personnages féminins aussi, Beatriz, Monica, et toutes les jeunes femmes en errance affective, j’ai beaucoup aimé ça.
Un beau premier roman, un personnage attachant et une nouvelle voix à découvrir.
Hacht, le sujet n’est pas drôle, horrible même cette vision d’horreur dans un carton, mais ce anti héros, homme du nord dans le sud, me semble bien attachant ! Comme tu sais bien donner envie !! Bises ma grande !
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oui, c’est un livre que j’ai trouvé étrange, c’est difficile d’en parler, c’est un ressenti personnel, comme le fait qu’il y a peu d’images qui surgissent des paysages, mais par contre la vision de ce petit corps dans le carton, plus qu’une image on perçoit la douleur, la tristesse, l’abandon, le désarroi. Vraiment intéressant comme écriture
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Oui,oui,oui.
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😀
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Et toi, tu en parles si bien que tu me donnes envie de le lire aussi. En fait, tu donnes envie de TOUT lire, c’est ça mon « problème » :-))
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ah ah ah ! tant mieux ! Moi je suis comme toi, je lis des blogs amis qui me donnent envie de TOUT lire ! je ne te dis me^me pas les conflits intérieurs !!! 😉
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De nouveau un article qui donne envie…j’aime beaucoup ce type d’anti héros dont on n’attend rien d’autre que découvrir son humanité.
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Ah oui ! Il est tout plein de choses qui font qu’on lui ressemble un peu, parfois on sourit et parfois on se dit : « C’est ça, la vie « , mais en tous cas, il soulève dans sa recherche des choses pas jolies jolies. Il est aussi beaucoup question des relations humaines. Le style est étonnant, comme silencieux, ou bien comme si on n’entendait que le cerveau du bonhomme;on ne sent pas vraiment la chaleur, le soleil, l’odeur de l’alcool, tout est sous une chape, c’est vraiment bizarre, et c’est fortiche.
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