Et l’Islande encore avec « La tristesse des anges » de Jon Kalman Stefansson – Gallimard- traduit par Eric Boury

                                                                            

« L’homme meurt si on le prive de pain, mais il dépérit et se fane en l’absence de rêves. »                                      

J’avais déjà publié un article sur « Entre ciel et terre » sorti en 2010, et nous voici de retour au nord de l’Islande, à la fin du XIXème siècle, avec la suite du voyage initiatique de celui nommé le gamin. Ce dernier a trouvé refuge chez le vieux et taciturne capitaine Kolbeinn et Helga, où il fait la lecture au vieil aveugle, et reçoit aussi une instruction.C’est Avril, mais le blizzard, la tempête de neige et un froid polaire enserrent tout entre leurs griffes. Un jour apparait à la porte un géant que la glace a gelé sur son cheval. C’est Jens le facteur de campagne. Et le gamin sera chargé de l’acompagner pour faire sa tournée : ce mot ici désigne des heures et des jours de marche, le regard obstrué par la neige qui tombe abondamment et sans discontinuer, le corps dans une gangue de glace qui oblige à avancer toujours pour ne pas se coucher et mourir.

Que se passe-t-il dans ce roman? En apparence, pas grand chose, si ce n’est un combat permanent et le feu qui couve sous la glace dans tout le corps du gamin. Ce personnage de grand adolescent est la lumière du livre, il en est la vie. Orphelin, il a perdu tous ceux qu’il aimait, mais tout bouillonne en lui : harcelé par ses sens qui s’éveillent et par des interrogations constantes sur la vie, la mort, le pouvoir des mots…Son bavardage et ses questions incessantes agacent le facteur taciturne, qui ne se plait qu’au loin de la présence de ses semblables. Mais pour affronter cet enfer glacial, ils ont besoin l’un de l’autre. La bataille du gamin contre le froid en est aussi une contre l’attrait de la mort.

Et il faut noter qu’à de nombreuses reprises, le thème des mots et des livres resurgit, dans des phrases de cette beauté-là :

« Il existe des livres qui vous distraient, mais ne remuent en rien les destinées profondes. Ensuite, il y a ceux qui vous amènent à douter, ils vous apportent l’espoir, élargissent le monde , et vous font peut-être connaître le vertige. »

et

« Nous nous sommes mis à la considérer ( la poésie ) comme de la rêvasserie et de l’ornement de fête, nous avons placé toute notre ferveur dans les chiffres et les réalités tangibles, ce que nous ne comprenions pas ou que nous redoutions a été enfermé, cadenassé, dans d’inoffensifs contes populaires. »

ou encore

« Le gamin se penche sur le livre; un long moment on n’entend plus que le battement de son coeur. La neige au-dehors est blanche, et certains mots sont plus riches de couleurs que tous les arcs-en-ciel. »

L’écriture de Stefansson ( qui est très connu chez lui comme poète ) est pure poésie, la réflexion philosophique constante, et sous une apparence de « non-action », sous  cette blancheur qui ensevelit et engourdit tout, tout est en mouvement, corps et esprit, au rythme lent des pas empêchés par la neige et le vent.On avance sans visibilité, mais on avance vaille que vaille. Tout le charme opère par une écriture vraiment magnifique.

« …sa soeur, née la tête emplie d’une telle limpidité que peu de pensées parviennent à y loger, mais où aucun péché ne s’enracine. »     

                Passer du roman brûlant de Silvia Avalonne à cet univers glacé n’a pas été facile, mais que les livres nous offrent de beaux sauts dans l’espace et dans le temps !

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