« Tirésias
« Imagine la scène:
Un garçon de quinze ans.
Avec des rêves ordinaires
Un quotidien anodin
En route pour l’école, plein d’ennui en lui
Fruit de ses désirs inassouvis. »
Encore un exercice inédit pour moi, une chronique plutôt courte, une tentative en tous cas, pour un recueil de poésie. Ce livre je l’ai choisi au seul nom de « Tempest ». Qui fut Kate pour son superbe roman « Ecoute la ville tomber » et qui est maintenant Kae. Tout sera compris de cette mutation en lisant ce recueil absolument magnifique, et surtout vraiment bouleversant. Il est très difficile de parler de poésie, j’en lis peu et je trouve que c’est une écriture qui, quand elle parvient à me toucher, relève de l’intimité la plus profonde, qu’on ne partage que parcimonieusement. Trop fort, trop personnel.
Extrait de « La femme qui est devenue garçon »
« Elle ressentait les cieux et les briques et la pluie.
Elle ressentait tout
Et ça la faisait tomber
Et pleurer sous une aube rampante
Lorsque tout était en ruines; déchiré.
Elle se sentait malade.
Mais elle se sentait tranquille.
Combien de tois as-tu été?
Combien,
Bien en rang à l’intérieur,
Chacune tuant la précédente?
Combien de fois t’es tu
Vue changer,
T’es-tu sentie te fendre en deux? »
Et ici c’est le cas mais j’ai très envie de donner envie de lire cette œuvre. Kate est Kae depuis aout 2020, c’est alors qu’elle décide de ne plus être binaire, ni il, ni elle, les deux en un mélange subtil et variable, mais notre langue sans neutre se prête maladroitement à ça, c’est donc iel . Ceci explique le mythe de Tirésias qui fit l’expérience d’être homme et femme, homme devenu femme puis femme redevenue homme. Qu’il soit clair que s’il est question de sexualité aussi, ce n’est pas que ça, c’est une question d’identité, de perception de soi-même dans le monde. Je ne peux relayer que faiblement la beauté de ce que j’ai lu ici, la force et la fragilité, la détresse aussi parfois, le regard sur l’enfance, l’adolescence et ses tâtonnements, tout ce qui est retenu, rentré de soi et qui un jour est si évident que la mue s’opère. Poèmes d’amour sublimes, d’une finesse et d’une sensualité bouleversantes. Ce vocable est celui que je mets avant tout autre. Tout ici est bouleversement.
Pietro della Vecchia, « Tirésias se transformant en femme » ( peint entre 1626 et 1678 – Musée d’Art de Nantes )
Comme celui de Tirésias. Ici vous lirez comment il perdit la vue et acquit son don de devin, comment il personnifia ce « iel », sous la puissance de Zeus et d’Héra. Quoi qu’il en soit, cette inspiration mythologique est de premier ordre pour comprendre la poésie de Kae Tempest. Se transposant ici maintenant, la force de ces mythes montre que de tous temps le genre n’a que des contours bien flous. Et qu’il est de l’intimité et du choix de chacun d’en redessiner ou pas les bords à son goût .
Extrait de « Un homme à terre »:
« Humains.
Nés avec des corps qui ont besoin de liberté.
Trouve-moi à l’intérieur de toi.
Laisse-moi être tout ce que je suis.
Tirésias. Me tordant les mains.
Tirésias. Chantant les hymnes de la terre. »
Kae Tempest, je l’avais aimée énormément dans le roman de Kate, elle m’a secouée dans ce recueil. L’édition est bilingue et c’est formidable car si la traduction magnifique pour moi qui ne suis pas très à l’aise avec l’anglais, me livre le contenu intense, le sens, la lecture en anglais me donne le rythme, les rimes et les respirations.
Un objet sublime que ce livre que je vais largement partager avec mes proches, un recueil qui comme le dit la 4ème de couverture est un hymne à l’Amour mais aussi une réflexion sur la difficulté à être soi, à se définir soi et à s’accepter comme tel. Ici, biographie de Kae Tempest chez l’éditeur.