« Demain c’est loin » – Jacky Schwartzmann – Points

« Chaoui Hebdo

Je m’appelle François Feldman, comme l’aut’ con. Mais je suis pas chanteur. Et je suis pas juif. Depuis toujours quand je dis mon nom on me demande: « Comme le chanteur? » Quand je suis énervé je réponds: « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, c’est mon oncle. Là, les gens ne savent plus quoi dire et ils sourient bêtement. Ils sont écrasés par le poids de la célébrité et ils me regardent autrement. Sinon, on me demande souvent si je suis juif. « Feldman, Feldman…c’est juif, non ?  » Quand je suis énervé je réponds: « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, je suis feuj. Gros silence. Les gens n’ont rien contre les juifs mais ils n’aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu’il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons. Moi, les juifs je m’en fous, comme je me fous des Japonais. Ils ont des mœurs et des fringues pourries, ils mangent bizarrement, mais à part ça, ça va. »

Eh bien je ne sais pas si Jacky Schwartzmann a la plume la plus corrosive de l’Hexagone, mais reconnaissez que dès les premières lignes, on a droit à une giclée de vitriol ! Et je vous garantis que j’ai vraiment beaucoup aimé ce petit roman bien serré, bien acide, bien irrévérencieux et qui baigne dans un humour qui fait le plus grand bien à une époque où chacun doit se surveiller pour éviter de se retrouver dans une case étroite. De l’humour à la Charlie, tiens !  Et c’est bon de rire sans complexe.

FF est donc un habitant du quartier des Buers à Villeurbanne, où il a grandi nourri par les mères de ses copains, cuisine maghrébine généreuse comme son ventre actuel. Et un jour il s’installe cours Charlemagne avec sa petite entreprise de T-shirts sur lesquels il imprime des citations d’hommes célèbres :

« Sauf que ce n’était pas forcément de vraies citations, plutôt des conneries que j’inventais. Une de mes préférées était: « On est bons avec les nouveaux freins ? » Ayrton Senna. J’avais aussi: « Mais puisque je vous dis que ça passe !  » Capitaine du Titanic. Enfin voilà, ce genre de trucs. »

Comme l’entreprise est un peu chancelante, FF se rend chez sa conseillère financière de la Banque Populaire – citée dans le livre, je la cite donc ici – Juliane Bacardi, jeune femme qui pour notre entrepreneur représente la neutralité, afin de lui demander un prêt parce qu’il vient de trouver une citation dont il est certain qu’elle va doper les ventes. 

« – Bon alors, allez-y monsieur Feldman, dites-moi. C’est quoi cette fois?

-La citation c’est: »Bonjour, c’est bien ici Charlie Hebdo?  » et c’est signé Chérif Kouachi.

-Non ! Vous plaisantez? Vous ne pouvez pas faire ça !

-Ben si. Ça va se vendre dans la cité, vous verrez. Je connais bien les Buers, j’y suis né. Rien que là-bas, je sais que je pourrai en vendre des tas. Les gens vont se marrer.

-Mais c’est…c’est odieux, enfin !

-Ben les gars de Charlie Hebdo se moquent de tout le monde, eux, et on dit que c’est de l’humour. Quand c’est l’inverse on dit que c’est odieux.

-Écoutez, nous n’allons pas débattre de tout cela, vous voulez bien? Ce n’est pas le lieu…Je peux tout de même vous dire que je ne trouve pas cela drôle. Tout comme Charlie Hebdo, d’ailleurs. »

FF ira de surprise en surprise au fil de l’histoire, car comme c’est un roman noir, forcément ça dérape sévèrement très vite et rien ne se présente comme il semblait aller de soi du départ. Et comme le roman est court, comme ça avance sur les chapeaux de roues, dans tous les sens du terme, je n’en dirai pas plus. Juste que notre François va vraiment être bousculé dans ses certitudes. Voici une lecture absolument jubilatoire et très incorrecte qui assure un bon moment de « OOOOOH ! »  et de rires qu’on s’autorise sans vergogne.

J’ai été autorisée à partager avec vous l’entretien suivant, très éclairant et intéressant qu’a accordé Jacky Schwartzmann à Bénédicte Cabane de la revue PAGE et libraire à la librairie des Danaïdes à Aix-les-Bains. Elle a posé 3 questions à l’auteur.

 » – Personne n’échappe à l’acidité de votre plume, tout le monde en prend pour son grade. Avez-vous des comptes à régler ?

Jacky Schwartzmann – Comme n’importe quel auteur à mon avis, je suis schizophrène. Je suis un type normal, mes parents m’ont bien élevé, bien éduqué. Je suis même plutôt trop gentil dans la vie. En revanche lorsque j’écris, c’est différent. Je suis dans une relation directe avec un lecteur, c’est assez unique comme relation. Et là je ne crains rien ni personne. Et je décris des travers, des traits, des attitudes, des hypocrisies, bref, je décris le monde. Je fais des photos. Je mets en conserve, plutôt. Des gens, des instants, des mouvements sociaux aussi. Je fais des boîtes de conserve et chaque roman est une épicerie, à vous de faire vos courses. Cela ne m’intéresse pas de parler des choses qui me conviennent, c’est vrai. Je m’intéresse surtout aux travers, chez tout le monde. En revanche je ne veux pas être identifié politiquement, cela n’est pas mon rôle. Et puis cela ne m’intéresse pas. Mon travail, c’est avant tout de raconter une histoire. C’est bête à dire mais c’est vrai. Je pense que je n’ai pas à donner mon avis sur tout, à faire le type intelligent, c’est une erreur. Je dois embarquer le lecteur, l’attraper par le col à la première phrase et lui raconter une histoire. En tout cas je ne suis pas un auteur militant, ce qui ne m’empêche pas de donner mon avis parfois, derrière les lignes. J’aime ne pas être fiché, identifié, étiqueté. Il y a des gens d’extrême gauche qui m’ont dit que ce que j’écrivais était important, et des gens de droite me l’ont dit aussi. Pour moi ça veut dire que j’ai bien travaillé. Encore une fois, je mets en conserve des instants, des mouvements sociaux, des habitus. 

-Vous racontez tout plein d’anecdotes et de détails qui font le sel de vos romans. Vous avez ainsi le sens des formules qui font mouche, les travaillez-vous ?

JS. – Pour les anecdotes, les détails, mon auteur de référence est Emmanuel Bove. Un roman comme « Les Amis » est une merveille. La société entière est braquée sous un projecteur, sous un microscope. Bove nous dit tout de son époque uniquement au travers des détails de la vie quotidienne. C’est un voyage dans le temps. L’histoire est un prétexte, elle est au second plan. Quant aux formules, je les travaille évidemment. Bove, encore lui, ou Jacques Brel, peuvent synthétiser trois pages de discours en deux phrases. C’est le travail de l’écrivain pour moi. Trouver des formules, des raccourcis.

-Vos personnages sont des « loosers » attachants. N’y a-t-il pas de héros ?

JS. -Les héros ne m’intéressent pas parce qu’on connaît d’avance leur réactions : ils sont bons et courageux. Prenez même « Dexter », la série. Je précise que je ne l’ai pas vue, mais le principe est qu’un tueur en série tue d’autres tueurs en série. Là, pour moi, ça n’a aucun intérêt. C’est un type qui tue des méchants, c’est donc un faux méchant. Il est dans le bon camp, c’est quelqu’un de bien, pour le spectateur. Accessoirement, on a une justification de la peine de mort, et sans procès. Les personnages que j’utilise sont dans le réel, le quotidien, et je les place dans des situations qui ne sont pas normales. C’est ça, je crois, mon créneau. Ce qui m’intéresse toujours, c’est de confronter des personnages qui n’ont rien à voir, qui ne devraient pas se rencontrer. Leurs frictions en disent plus sur les clivages de la société qu’un essai de sociologie. »

Pour conclure, FF et sa conseillère financière vont trouver un terrain d’entente, si je puis dire. Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer ce passage mais tout le livre est extrêmement drôle et acide:

« Lorsque vous vous retrouvez sur le périphérique lyonnais à quatre heures du matin, en peignoir et en VTT, vous vous sentez obligé de faire un peu le point. J’en avais raté, des embranchements au cours de ma vie, c’était certain. On ne se met pas à vendre des T-shirts avec de fausses citations d’hommes célèbres comme ça, par hasard. Pour bien rater sa vie, on peut commencer par emmurer des conseillères d’orientation dans leur propre bureau. C’est pas mal. Après vous traînez un peu avec toutes les cailleras qui sont à portée de main, vous secouez tout ça pendant quelques années, et c’est bon : vous êtes un minable.[…] C’est dingue comme les vies basculent ! Les vieux vous l’ont répété toute votre adolescence: « Attention ! La vie peut basculer du jour au lendemain ! » Vous vous disiez que c’étaient juste des cons, qu’ils étaient moins malins à leur époque et que vous, c’était différent. Vous, vous ne finiriez jamais à la rue. Ouais. Ouais putain ! Et vous atterrissez sur un périph, en peignoir, à quatre heures du mat’. »

Je termine cet article après avoir eu le grand plaisir de rencontrer Jacky Schwartzmann . J’ai eu en effet la chance d’être invitée avec une quinzaine d’autres personnes sur une péniche stationnée sur les berges du Rhône pour une conversation avec lui, une heure d’échanges très intéressants. Il nous a dit ses projets d’adaptation au cinéma de ce roman, son goût pour l’écriture de scénarios, son parcours entre cité et quartiers bourgeois, sa façon de travailler, bref, très agréable moment. 

Je tiens donc à remercier Ingrid Svensen, les éditions Points et la revue Page des libraires pour cette rencontre organisée dans le cadre des Quais du Polar. Le choix de cet ancien pétrolier fluvial aménagé pour ce genre d’événements – entre autres- était très chouette, plus petites choses très bonnes à manger, des boissons et de jeunes personnes très souriantes pour nous recevoir. Merci pour tout !

Et puis lisez ce petit livre caustique pour un vrai bon moment de détente. Bonne lecture !

12 réflexions au sujet de « « Demain c’est loin » – Jacky Schwartzmann – Points »

    • Franchement une bonne tranche de rire et personnellement je ne me refuse rien qui puisse me faire plaisir. Ce livre a il est vrai un côté régressif c’est ce qui fait son charme car en même temps il est loin d’être bête. J’ai l’intention d’en lire d’autres où l’auteur explore le monde du travail, des livres un peu moins hilarants.

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        • Ah pour le style, c’est absolument parfait puisque l’auteur arrive à mêler deux langages sans que ça ne soit artificiel ( il connait très bien les deux par expérience de vie ) et il laisse le lecteur rire parfois honteusement. L’adage on peut rire de tout mais pas avec tout le monde, n’est-ce pas …Il écrit des choses très pertinentes sur ce sujet. Et de l’avoir écouté en parler a confirmé mon avis favorable sur la personne !

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    • Un humour qui doit lui valoir parfois des volées de bois vert, mais je crois qu’il s’en fiche; c’est bon de rire, et puis cet homme est intelligent, a fait des tas de boulots, a une expérience des cités et des quartiers bourgeois, il sait parfaitement de quoi il parle. Le livre vaut ne serait ce que pour une vision de Johnny Halliday en un « lieu » inattendu et absolument incongru, j’ai ri comme je n’avais pas ri depuis longtemps en lisant ce passage…ça pourrait bien te faire du bien, amie belge !

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  1. Ah chic ! enfin un peu de transgressif … j’aime l’irrévérence, surtout quand elle fait irruption dans la banalité d’un quotidien bien « propre sur lui », et quand elle secoue les apparences. Ce livre, il me le faut :-))

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