-Vous vous appelez Elena Balzamo – vous êtes italienne?
-Non.
-Vous écrivez sur la Suède – vous êtes suédoise?
-Pas du tout.
– Vous avez un petit accent slave – vous êtes russe?
-Euh…Je suis née à Moscou.
-Française , alors?
-Hm…Selon l’état civil.
-Mais enfin, vous-même, vous vous sentez quoi?
Me voici plongée dans l’embarras:
-Je me sens…européenne.
Voici pour moi un exercice difficile, écrire sur le récit et la réflexion d’une femme érudite, née en 1956 dans la Russie soviétique, Russie qu’elle quitte définitivement pour la France en 1981.
Elena Balzamo est historienne des langues et littératures scandinaves et grande traductrice. Dans ce petit recueil, la première partie est consacrée en majeure partie au père suédois d’une amie de l’auteure, son amie Marina. Elena Balzamo va se pencher longuement sur la biographie de cet homme qui retourne assez vite en Suède et espace ses visites à sa famille russe, ce qui fait que Marina n’a pratiquement plus de lien réel avec son père.
« Venu en URSS comme journaliste au milieu des années 1950, son père avait rencontré sa mère, l’avait épousée, une fille était née de cette union. Peu après, il était retourné en Suède sans emmener sa famille. Qui ne l’avait pas voulu : lui, elle ou les autorités? Marina ne le savait pas, on évitait ces sujets chez eux. plus exactement, chez elles, car la fillette grandissait entre sa mère et sa grand-mère, laquelle ne portait pas son gendre dans son cœur, loin de là: « Elle disait qu’il lui avait gâché sa carrière. » »
Il va s’avérer que le bonhomme travaillait pour le KGB et Elena Balzamo va suivre le parcours de cet homme grâce aux bibliothèques, le suivre à Cuba , en Espagne, etc…
Puis il y a la découverte de la France par Elena, Paris, et surtout le sud de la France, très bonnes pages sur le choc total des perceptions. En effet, c’est la lumière, toutes les couleurs éclatantes, brillantes, la volubilité des gens et de la nature, de la vie globalement, tout ça est presque un traumatisme pour Elena qui émerge de la grisaille du béton soviétique, Elena qui n’aime pas le Sud, en France, en Italie , elle n’aime pas…
Il y a aussi la rencontre de l’instituteur communiste français – du Sud – , et sa bibliothèque…
« Fascinée, j’examinais les étagères: j’avais rarement vu une bibliothèque privée aussi amoureusement composée, aussi spécialisée et aussi exhaustive. Son propriétaire devait être un grand lecteur, une personne passionnée par le sujet. Cependant, au bout d’un moment, j’eus l’impression que quelque chose manquait: mais oui, les acquisitions ( et l’histoire ! ) s’arrêtaient à l’orée de la perestroïka – après il n’y avait plus rien. »
Le ton est souvent assez ironique , moqueur, de cette moquerie dont on peut user quand on ne risque plus rien. Car ce que raconte ici l’auteure de ces années à Moscou est de fait indéniable, et pas très drôle, sauf qu’elle y met du sien pour que ce ne nous soit pas sinistre. Ici, au centre de thalassothérapie des apparatchiks où elle est engagée comme interprète:
« À part nous, il y avait encore quelques étrangers, surtout des Africains – on était à l’époque de l’expansion soviétique en Angola et au Mozambique – flanqués de leurs interprètes, étudiants à l’Institut des relations extérieures, des diplomates en herbe. Mais la grande majorité des vacanciers se composait de secrétaires du Parti des régions, gros bonnets locaux, gens âgés – parfois souffrants – qui avaient été récompensés pour service rendu par un séjour ( quinze jours ou un mois, je ne sais plus ) dans ce paradis d’apparatchiks. […].
Pour atteindre la plage, vu l’âge et la forme physique de la plupart des vacanciers, on avait creusé un puits dans la roche pour y installer un ascenseur. Un fois en bas, on empruntait un tunnel qui débouchait sur la plage. Des poissons rouges nageaient dans des aquariums muraux, on marchait sur un tapis rouge qui se prolongeait sur les galets jusqu’à la mer. Un tableau surréaliste. »
Il me semble difficile de dire plus de ce court récit, court mais très riche en informations, en réflexions; celle que je retiendrai est celle sur la littérature comme vecteur de partage, de compréhension du monde, du nôtre et de celui des autres, ces mondes naturels, politiques, sociaux sur lesquels nous avons des idées finalement assez floues, en tous cas imprécises…On sent comme Elena Balzamo porte en elle cet amour de la littérature, ce sens du partage évidemment car traduire, c’est partager. Et vous savez comme j’aime la littérature étrangère et comme je respecte les traductrices et traducteurs. Pour moi, c’est l’axe de ce récit finalement, sur lequel s’enroule l’histoire de la vie de cette auteure vraiment intéressante.
Je reconnais que j’ai préféré la seconde partie où Elena Balzamo raconte un peu de son enfance russe, parle des modes de la vie quotidienne, de l’école, des livres de son enfance, de l’appétit que le manque engendre en fait, je crois. Puis de ce qu’elle perçoit des années plus tard, quand elle retourne en Russie bien après la fin du régime communiste. J’ai beaucoup aimé l’humour savoureux, fin et percutant, voire assez vache !
Je vous propose de lire ce qu’en a pensé ma camarade du blog Sur la route de Jostein.
Enfin, je vous conseille d’aller lire et écouter Elena Balzamo sur le site de son éditrice https://mariebarbier.com/portfolio_page/alice-bellony-rewald-2/
Tu parles de Russie, et moi, là, je pense à Anastasia (et à Roxane) !!!! …
Je comprends très très bien qu’on puisse ne pas aimer le Sud, surtout quand on débarque de Russie ! Et même quand on n’en débarque pas, d’ailleurs ! …
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Ah je crois qu’inévitablement on pensera à Roxane en entendant Russie, cette Roxane- là est juste incrustée dans notre esprit comme un petit piercing brillant qui ferait un peu mal…Ceci dit, ce livre d’Elena Balsamo est très intéressant
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