Voici longtemps que je n’ai pas rédigé un article comme celui-ci, à savoir des notes de vacances et de vie, accompagnées bien sûr de références littéraires.
La Lozère, je ne l’avais vue qu’en été. Elle m’a semblée vraiment faite pour moi en ce printemps un peu chamboulé par une santé qui fait des siennes, et un grand besoin de prendre des forces avant d’entrer en guerre. Alors, dans le petit album photos que je partage avec vous, vous verrez les chemins que j’ai empruntés en une semaine au temps finalement clément, idéal pour la marche.
Quelle splendeur que ce Mont Lozère couvert de genêts en fleurs, champs de narcisses, ruisseaux vifs et glacés, les cascades dévalant au détour d’un pont de pierre, les tourbières moelleuses, les amas étonnants de rochers de granit, comme posés là par des géants en constructions d’équilibristes…La paix des lieux, le silence juste perforé des trilles de l’alouette qui décolle et s’égosille haut dans le ciel. L’air pur, vif de ce printemps tardif – à certaines hauteurs, les bourgeons à peine éclos fin mai – l’horizon infini par-dessus les montagnes en dégradé gris-bleu, les bancs de brume au fond des vallées le matin et toutes les nuances de vert du paysage…
Merveille dont je ne me lasserai jamais. Des lieux comme ceux-ci sont de vraies sources d’énergie. Et puis la tranquillité du Pont de Montvert sans touristes, les chats maîtres des rues et des jardins, le petit marché du mercredi, le postier souriant…Idyllique ? Pour moi oui, la réalité n’est sans doute pas celle-ci. Nous logeons dans le hameau Le Villaret, dans le gîte qu’occupait Raymond Depardon et son épouse, quand il tourna sa trilogie « La vie moderne », profils paysans. La propriétaire nous raconte le tournage chez eux ( elle et son époux figurent dans le film ) ; de beaux portraits en noir et blanc sont accrochés sur nos murs d’une semaine. Ici, vous voyez attablé Alain puis notre étonnante – et épatante – propriétaire son épouse, Cécile.
Et puis il y a la route, celle que nous avons emprunté pour nous rendre dans ce hameau où le monde paysan persiste avec une trentaine de vaches, un troupeau de brebis, des œufs bio, du beurre de baratte, vaches, chèvres , moutons « à la bade », pas ou peu de clôtures, des chiens adorables qui jamais ne jappent, un chat gourmand, et le lever du soleil sur le champ de narcisses en face, un taureau solitaire qu’Alain va rechercher dans les bois, un potager pour les légumes, quelques ruches pour Alain que la vie des abeilles passionne.
La vie ici semble bucolique, mais elle est dure et pas vraiment tournée vers la poésie dont pourtant elle est pleine ( la poésie n’est pas faite de couronnes de roses sans épines et de clichés au sucre ! ). Si on parle avec les gens – ce que nous faisons – ils nous parlent de leur vie, ils l’aiment, choisie ou pas, c’est leur vie et on les imagine bien peu dans une grande ville. Ils ne courent jamais, les bêtes non plus, tout prend son temps, mais tout est fait à temps. Et l’air doux frôle la poule dans l’herbe, au loin la foudre crépite, le ciel passe du gris sombre au bleu en quelques instants, c’est le temps qui ici a une autre mesure.
Enfin la Lozère du Pont de Monvert, les abords méridionaux des Cévennes, Florac et les grands causses sont le décor de certaines de mes lectures restées très présentes en moi. La première qui m’a emmenée dans cette région, il y a des années de ça, ce fut l’extraordinaire roman d’André Chamson, « Les hommes de la route « , tome 2 de la trilogie « Suite cévenole ». Je n’ai lu que celui-ci, le premier, « Roux le bandit » est dans ma bibliothèque, acheté d’occasion et le tome 3 est « Le crime des justes » que je vais acheter.
L’histoire est située plutôt côté Cévennes gardoises, vers Le Vigan et relate la construction de la route qui relie ce bourg au col du Minier. Extrait qui décrit le travail de titans que fut la création du réseau routier dans ces reliefs difficiles :
« Déjà, dans les parties basses de la vallée, la route s’ouvrait au trafic. Petit à petit, les gens d’Aulas et de Salagosse abandonnaient les antiques voies ferrées de gros blocs, les anciens chemins de terre montés en digue au long des cours d’eau.
Le cylindre à cheval, chargé de rocs et de ferrailles, était arrivé jusqu’à la Broue, et, nivellant l’empierrement, s’avançait du Sablas jusqu’à la Baraque Neuve.
Traîné par huit juments lozerottes, un fort mulet d’Auvergne en flèche, environné de l’éclair des coups de fouets, dans un tonnerre de jurons, de cris, de hennissements, il gagnait mètre par mètre avec de brusques élans et des haltes soudaines. Devant lui, la route se soulevait en une lourde vague, mouvante, craquelée, brusquement coupée de lézardes. Dans chaque trou, des hommes, courant sur les bas-côtés de la route, envoyaient à la volée une pelletée de sable humide, ou même, presque sous le rouleau, plaçaient à la main une pierre et se reculaient brusquement. Le cylindre passait, écrasait la vague, et, derrière lui, la route aplanie et lisse semblait devenue immobile pour toujours.
De moment en moment, l’énorme machine s’arrêtait: autour d’elle, la sueur des chevaux se déchirait en nuages dans le tourbillonnement des mouches et des taons. Les charretiers, le fouet passé derrière la nuque, les joues écarlates, le cou gonflé, sans voix, s’accroupissaient sur le talus et prenaient leurs têtes dans leurs mains. «
Puis, tout à coup, sous les jurons et les cris, au claquement de la mèche des fouets, on repartait, dans le hennissement des bêtes, l’affolement de l’essaim des mouches et la pétarade du mulet de tête, qui tirait à droite et à gauche, cinglé par les traits, la queue en demi-cercle, les oreilles battantes, comme en folie et furieusement suivi par tout l’attelage. «
Si l’histoire de la construction des routes – ces routes si impressionnantes, et effrayantes parfois – est un hommage à ces travailleurs qui mettaient leur vie en danger à chaque instant, de paysans devenus ouvriers, Chamson dépeint aussi des femmes austères, vivant dans les vallées en attendant que leur mari revienne en vie, et menant seules la vie quotidienne. Pour moi André Chamson est un auteur moderne par son écriture et aussi par la façon d’aborder les sujets; et puis voilà, j’aime qu’on me parle ainsi des gens de ces contrées pleines de replis secrets. On prend ces routes cévenoles qui nous ouvrent des horizons époustouflants et on pense alors à ces hommes qui les ont ouvertes, ces voies vers nos paradis de vacanciers.
Impossible de séjourner ici sans croiser le chemin de R.L.Stevenson, pour moi écrivain et poète admirable, assez intemporel dans ses multiples facettes littéraires. Modestine a une nombreuse descendance qui promène encore les sacs – et les marmots ! – des marcheurs en quête d’exercice physique, de paix, de réflexion, d’air pur, de beauté, de tout à la fois. ICI le lien vers le court article que j’avais consacré à Stevenson lors de vacances en Haute-Loire, d’où il partit pour rejoindre St Jean du Gard.
« A l’endroit où cessent les bois, qu’on ne trouve plus après une certaine altitude dans ces régions particulièrement froides, je pris à gauche un sentier parmi les sapins. J’arrivai dans un vallon verdoyant où un ruisseau formait une petite cascade sur les pierres comme pour me servir de fontaine. « Jamais nymphes ou faunes ne hantèrent un bocage plus sacré ni plus retiré. » Les arbres n’étaient pas vieux, mais ils poussaient pressés autour de la clairière, ne laissant apercevoir que des cimes lointaines au nord et le ciel au-dessus de ma tête. Je pouvais camper là en toute sécurité ; j’y serais comme dans une chambre. Pendant que je prenais mes dispositions et que je donnais à manger à Modestine, le jour, déjà, commençait à décliner. Les jambes bien enveloppées dans mon sac jusqu’au genoux, je dînai de bon appétit, et dès que le soleil eut disparu, j’enfonçai mon bonnet sur mes oreilles et m’endormis. »
Ensuite, vient Jean-Pierre Chabrol et « Crève-Cévennes ». Lui, c’est aussi les Cévennes gardoises au moment où elles deviennent espèce en voie de disparition, ce livre est écrit en 1972, à la toute fraîche naissance du Parc National desCévennes en 1970.
J’ai lu bien d’autres livres de lui, « Le bonheur du manchot », « La banquise », « Les fous de Dieu » comme ses nouvelles « Contes à mi-voix » et « Les mille et une veillées » et j’en oublie. Extrait court de « Contes d’outre-temps » :
« Ah! le cochon familial , prospère et crasseux, énorme! à faire pâlir d’envie ses frères rosâtres de la porcherie modèle! Il se jouait paisiblement des planificateurs, des injecteurs d’hormones, des croiseurs de race, des bousilleurs d’espèce pour un peu plus de lard – même insipide – ou un peu plus de chair – même blanchâtre – pour cinq jambons sur quatre pattes. »
Voici des auteurs du passé me direz-vous…Oui, un peu, passé pas si lointain pourtant et toujours bons à lire à mon sens si on veut comprendre cette région…Mais rapprochons nous d’aujourd’hui, rapprochons nous de la Lozère – ces Cévennes sont larges et étendues, et ainsi variées tant par le relief que par le climat – .
Et voyez-vous, j’ai lu avec délice le formidable roman de Colin Niel « Seules les bêtes », où l’auteur ne dit rien des lieux, mais il me semblait bien avoir reconnu desendroits où j’étais passée.
« Parce qu’il faut dire ce qui est : j’ai jamais vraiment su parler aux gens. Aux brebis oui, je sais quand faut leur causer doucement pour les calmer, quand faut gueuler pour pas qu’elles se barrent sur les terrains des autres. Mais aux gens, non. C’est un des trucs que j’ai oublié d’apprendre.»
Pour ne pas dire d’idiotie, je lui ai demandé de confirmer mon intuition quant à la ville de Florac et le causse Méjean pour le décor de son livre. Avec beaucoup de gentillesse il m’a répondu qu’en effet, ces lieux étaient bien ceux où se déroulait l’intrigue.Je vous mets le lien vers mon article pour en savoir plus – pour ceux qui ne l’ont pas lu -, mais croyez-moi, ce bouquin vaut le coup !
Et j’ai bien retrouvé là ce monde âpre, cet état de solitude noyé dans un quotidien laborieux, mais où on prend son temps pourtant, y compris pour des choses…bon je ne dis plus rien…Vraiment celui-ci, il faut le lire !
Et enfin un dernier titre dont j’ai déjà parlé maintes et maintes fois, mais ici impossible de ne pas le citer puisque je me suis trouvée pile à l’endroit dont il est question, « quelque part entre le Pont de Monvert et Grizac », c’est bien sûr « Grossir le ciel » de Franck Bouysse.
« Il y avait aussi des couleurs qui disaient les saisons, des animaux, et puis des humains, qui tour à tour espéraient et désespéraient, comme des enfants, battant le fer de leurs rêves, avec la même révolte enchâssée dans le cœur, les même luttes à mener, qui font les victoires éphémères et les défaites éternelles. »
On pourrait bien mettre les visages photographiés par Raymond Depardon sur Gus et Abel…Belle démonstration dans ce beau, fort et dur roman que l’homme, ici ou là, répond aux mêmes lois, aux mêmes instincts, mais que juste le milieu et le décor jouent sur les paramètres de réglage en intensité, en mode d’expression…Et ici aussi la solitude, bien ou mal vécue.
Quant à moi, je trouve dans cette nouvelle génération d’auteurs qui osent s’intéresser à ce monde périphérique qu’est devenu le monde rural – à mon avis, tout aussi périphérique que les banlieues, mais avec évidemment d’autres problématiques – avec ces deux voix en particulier, de bien belles plumes d’abord, poétiques et nerveuses, et un regard neuf sur ces paysages que j’aime tant. Neuf car il rétablit un certain équilibre dans les regards sur « nos belles campagnes », plus sombres qu’il n’y parait, neuf par l’œil acéré sur la vérité de ce monde et de ces hommes, et parce qu’il n’oublie jamais la brutalité des existences, pas plus douces ici que là. Nous sommes bien loin de ce « roman du terroir » qui s’il est parfois bien écrit et honnête et relate des choses véritables, adoucit souvent bien trop les angles aigus de la réalité. Nous sommes avec Niel et Bouysse, d’ailleurs aussi avec Chamson et Chabrol, dans le vrai avec sa beauté mais aussi sa violence, dans le réel avec ses douleurs et ses frustrations, mais avec aussi ses bonheurs.
Que dire sinon que ces auteurs m’accompagnent quand je gravis le Mont Lozère, quand je contemple le Bougès, arpente le col de Finiels, sirote un verre au Pont de Montvert ( au bistrot à côté de Gus qui lit le journal ) ou prend un peu le soleil sur la place de Florac, sous les platanes…
J’ai impression que tu étais aussi sur NOS pas….. des prises de vue que j’ai fait….beau texte !
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Il y a des lieux inévitables là-bas, comme Finiels, l’Aigoual et ses 6 permanents de météoFrance sur un siège éjectable, Florac et la source du Pêcher, Le Pont de Montvert, et la cascade de Runes( au printemps, pléthorique en eau glacée ! )Ma rando préférée a été celle au départ de Mas Camargues ( route d’accès …waow de beauté et de frisson de peur ) vers le mas de la Barque et Cassini, mais aussi une boucle au départ du Pont de Montvert qui grimpe sur le Bougès, un bout du Stevenson…En fait, j’ai tout aimé…
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Des auteurs que j’aime Chamson, ou Stevenson et Bouysse le petit dernier
C’est un pays dur et splendide
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Oui, dur,splendide, et qui se mérite quand on y marche. Alors on a le corps qui reprend racine
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Pas la peine d’y aller donc ! J’ai une peur panique des ravins. Et le voyage vient d’être accompli avec toi. J’ajoute que mon coeur contient toutes ces jolies choses de la vie vers lesquelles tu marches souvent, et sur lesquelles tu es posée. Quand tu ne les vois pas tu les lis, quand tu ne les lis pas tu les rêves. Et je t’y rejoins, connectée autrement. C’est magique.
Les auteurs que tu cites sont mes favoris ma belle-soeur.
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Je pense que tu peux y aller en évitant les ravins 🙂 Parce qu’y être, y respirer, en toucher le sol, c’est une expérience égale à celle qu’ont vit en regardant l’océan en Bretagne, pour moi dans la baie des Trépassés ou sur la plage de Suscinio, entre océan et marais . Mais c’est vrai qu’on voyage souvent par procuration, nous, lectrices et lecteurs…
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Je voudrais souligner la qualité littéraire (si, si !) de ton article, qui nous fait voyager, rêver, découvrir, marcher sur tes pas, mais qui n’occulte pas combien il doit être dur de vivre dans et par ce pays rude, isolé, désolé, hostile parfois … mais si beau !
D’ailleurs, le petit, dans le film, il est devenu « comme papa » maintenant qu’il est grand ?
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Merci, Marie ! Je ne sais pas si le petit fait comme papa, en effet, il serait bon de le savoir. C’est possible…Je connais pas mal de paysans, pas ceux près de chez moi, mais dans des zones certes pas aussi extrêmes que la Lozère, mais en zone de moyenne montagne. je pense à un en particulier, dont le fils aîné dessine des tracteurs depuis qu’il sait tenir un crayon, la seconde qui veut faire des fromages et la troisième qui passe son temps libre avec les bêtes, avec son père. Si le père a l’amour du métier malgré tout, je crois que ça influe sur le choix des enfants. Ensuite, ce qu’il y a aussi dans le monde paysan, c’est la très forte notion de patrimoine familial, la ferme, les terres héritées, travaillées, bonifiées par la famille depuis souvent très longtemps. Une chose qu’on peut se dire belle, mais qui parfois est un vrai piège. Comme on le sait, ce monde pas lus que les autres, n’est pas toujours très clair sur certains plans. Mais il y a des gens formidables partout. Alain, vu donc au début de la bande -annonce du film, franchement pour avoir parlé un peu tous les jours avec lui ( le ciel, le temps, le taureau qui se planque dans les bois, le chien qui a de l’arthrite, les renards qui rôdent…) franchement cet homme aime le lieu où il se trouve, ce qu’il y fait, comment il y vit. Et rien d ‘un rustaud caricatural
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j’aime me promener sur votre blog. un bel univers agréable. Blog très intéressant et bien construit. Vous pouvez visiter mon blog. à bientôt.
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Je suis très émue par ce récit de vacances! C’est magnifique, tout simplement magnifique! Quelle joie d’avoir fait ce petit voyage et de découvrir une région tout aussi magnifique, un voyage dans lequel je t’ai suivie avec une grande joie et beaucoup d’admiration pour ton talent, ligne après ligne!
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Merci Wivine, tu vas recevoir une carte – et j’espère pas dans 3 mois ! – Je t’embrasse !
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