« Trois âmes sœurs » – Martina Clavadetscher, éditions ZOE, traduit par Raphaëlle Lacord (allemand)

Editions ZOE / Trois âmes soeurs / Martina Clavadetscher« I

Tout le reste devient secondaire.

Iris chuchote dans le silence.

Seul le bruit des glaçons accompagne son récit.

C’est à ça qu’on reconnait le cœur d’une chose, poursuit Iris.

Et je suis sûre que pour Ada aussi tout passa instantanément au second plan: la soirée donnée par Babbage, les messieurs de la Royal Society, les murmures dans la salle richement ornée, la chaleur de la capitale, de même que les manèges ou les marchands affairés qu’elle avait vus cet après-midi-là au bord de la Tamise […] »

drink-7160595_640Voici un de ces livres que les éditions Zoe seules sont capables de nous dénicher. Une bien étrange histoire où l’on rencontre trois femmes. Trois âmes presque sœurs. Je dis « presque » parce que quand même… Ah il est compliqué de parler de cette histoire bizarre !

Tout d’abord, c’est Iris qui nous parle. Iris vit dans un appartement luxueux à New York. Elle s’y ennuie un peu. Ensuite, on va rencontrer Ling – ma préférée – qui elle vit en Chine. Ling fabrique des « poupées » à taille humaine, en fait elle fabrique des femmes, oui, on peut dire ça; elle est ouvrière et fabrique des femmes parfaites, lisses et douces et bien proportionnées. Ling et Harmony, scènes surréalistes:

cyber-5679784_640 » Ling, je savais que j’allais te revoir » commence Harmony.

Nous cherchons toutes des explications et nous les cherchons dans notre passé, car c’est le seul lieu où nous pouvons le faire. Le présent et le futur sont trop proches ou trop flous. Mais nous avons compris que les origines ne sont qu’une construction. L’identité elle-même est composée d’histoires qui nous ont été inculquées. Chaque individu est constitué d’une mosaïque de souvenirs. Ce sont les récits qui nous façonnent.

Ling traverse la pièce, s’approche de l’être parlant, pose sa main sur son épaule, et la proximité immédiate devient complicité. Un clic se fait entendre, puis encore un. Des clics de toutes parts. Les paupières artificielles se ferment, tous les yeux dans la pièce se ferment, comme si, bercées par cette complicité, les créatures jouissaient d’une soudaine assurance, comme si toutes possédaient un savoir commun. »

Enfin, l’improbable troisième femme, c’est Ada Lovelace, la fille de Lord Byron – oui, rien que ça ! – mathématicienne géniale mais malade. On se demande d’abord ce qu’elle fait dans cette histoire de XXIème siècle… mais on finit bien par saisir. Je reconnais que ce n’est pas une lecture toujours facile. Et puis si je vous dis mathématiques, intelligence, être humain…bon, le sujet est bien dans l’air du temps. Mais n’empêche que ces trois créatures vont déjouer tout ce qui était prévu pour elles. En quoi ce livre est aussi un roman puissamment féministe.

Je crois qu’il est impossible de résumer une telle histoire; ce qui fait une belle part de son intérêt et sa subtilité, c’est la façon dont il est écrit, construit et le fond du propos, à décrypter peu à peu. Ce roman parle beaucoup, je crois, de désobéissance. Et j’ai vraiment aimé ça. 

374px-Carpenter_portrait_of_Ada_Lovelace_-_detailSi déjà ça ne vous attire pas comme un aimant… Parce que moi je pense que ce roman est unique en son genre. Comment se relient ces trois créatures? Ces trois femmes? Il est très malaisé de parler de ce livre sans dévoiler son essence même. Je sais, cet article est presque muet sur le propos, juste quelques extraits que je me suis appliquée à choisir pas trop bavards non plus. Je suis gênée aux entournures, ce livre est compliqué à relater, encore plus à résumer. Vous vous dites que je me cherche des excuses, mais non. C’est réellement difficile et plutôt que de faire du remplissage, je préfère dire qu’il vous faut tenter l’expérience. Rencontrer Ada Lovelace, par exemple… incroyable ! Et dingue, elle est dingue et géniale,- elle a bel et bien existé – mais très très perturbante – ce qui fait incontestablement partie de son charme ! – :

« Une machine à penser! susurre-t-elle, et l’enthousiasme éclate en un gloussement d’enfant. Cette fois, c’en est fait d’Ada: elle se jette à corps perdu dans les théorèmes et formules. La penseuse passe des heures le nez enfoui dans ses papiers et ses livres. 

Et bien que les universités et les bibliothèques soient interdites aux femmes, elle accède à l’enseignement par des voies détournées. Des connaissances la fournissent en  manuels et modèles pour sa formation à distance. 

Adoptant une retenue toute appropriée, Ada entretient une correspondance quotidienne avec un certain Dr King, puis avec un chaperon de la première heure, Mister de Morgan, afin d’obtenir des réponses à des questions pointues. Elle désire rester sur un pied d’égalité avec Babbage, son allié, le devancer d’un cheveu. »

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Mise donc pas mal en difficulté par cette lecture que néanmoins je n’ai pas lâchée.

 Pour finir, ce livre explore avant tout des solitudes profondes, la solitude en général, et c’est ce qui m’a le plus touchée et beaucoup émue. J’ai presque failli ne pas ajouter cette phrase, alors que bien évidemment, c’est au centre de ce roman, la solitude. J’ai failli ne pas le dire, peut-être parce que c’est un point sensible, plus que d’autres. J’espère que ce roman ambitieux va trouver son public, car il le mérite.

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Un petit mot sur les éditions Zoe, éditions venues de Suisse et qui à chaque fois me surprennent, me déroutent, et apportent un souffle neuf avec des textes formidables. Je citerai  entre autres Anne-Sophie Subilia dont j’ai adoré les deux premiers romans, mais aussi le merveilleux petit livre de Michel Layaz , « Les vies de Chevrolet » et bien d’autres.

Bonne lecture !

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