« Tu étais seul, tu as toujours été seul. Ça n’a jamais été d’une solitude déprimée et déprimante mais ce fut une solitude qui je suppose s’est imposée par la force des choses, la mort d’un père, la sortie de la guerre, une adolescence rebelle, bref, une solitude orgueilleuse. »
Voici une fois encore un livre inhabituel pour moi. Ce texte est je pense caractéristique de cette collection ( une découverte en ce qui me concerne ) qui porte « une attention particulière aux histoires et parcours singuliers de gens, lieux, mouvements sociaux et culturels.«
Me voici à découvrir Bas Jan Ader sous le regard de Thomas Giraud. Outre le fait que je ne connais pas ce « performer », photographe, cinéaste, artiste conceptuel, et que cette forme d’art – conceptuel – est pour moi assez hermétique je suis capable néanmoins de m’y intéresser ( je remercie ici Martine F. qui m’a ouvert quelques trappes et quelques lucarnes sur le sujet ! ). Enfin je découvre aussi Thomas Giraud que je n’ai jamais lu.
J’ai beaucoup aimé cette écriture, qui se pose ici dans la narration comme une voix off, un récit à voix basse, récit allié à un regard sur l’artiste qui va au-delà de son art, qui fait pour lui une introspection, qui tente d’entrer dans la peau et le cerveau de Bas Jan Ader; qui cherche à mieux comprendre, à mieux regarder et percevoir, qui cherche des réponses à toutes les questions qu’ont posées les œuvres de ce hollandais né en 1942 et disparu en mer en 1975. Vie brève consacrée à la chute. Et quand on dit chute, ce sont celles qu’il va faire depuis le toit de sa maison, en vélo dans un canal, etc…mais allégorie de la chute comme fatalité, destinée, je ne fais là que supposer. Ainsi Thomas Giraud enquêteur, en quêteur, prospecte l’œuvre de Bas Jan Ader. Comme l’artiste le fait sur sa famille, sur son père. Plus ou moins consciemment. Thomas Giraud n’affirme rien, il suppose, il réfléchit…
« Ce que tu sais de lui, ce sont les images de tout le monde auxquelles s’ajoutent les anecdotes et souvenirs familiaux. C’est aussi très irréel même si le propre de la réalité est de paraître irréelle. Finalement, ça donne quelqu’un qui est tombé, qui était grand. Tu grandis donc avec une image écrasante d’un homme qui se glisse dans tout, partout. La preuve, ta mère qui joue le rôle de la mère, joue aussi celui du père, de l’image qu’elle s’en fait d’avant et maintenant, te donne des indices, des mensonges et aussi de brèves vérités sur ce qu’il a pu être. »
L’œuvre qui émane de ce jeune homme dont Thomas Giraud nous conte l’enfance – authentique et aussi supposée – est bien sûr surprenante, et bouleversante. Thomas Giraud cherche, recherche ce qui a germé en cet homme pour aboutir à ce genre d’œuvre qui renferme tant de chagrin, de tristesse, de mélancolie, qui l’amène à – sa femme le filme – « I’m too sad to tell you » ou « How crying can be considered art ».
Thomas Giraud s’adresse à l’artiste, et je trouve d’une grande douceur, d’une grande délicatesse sa façon de parler avec lui, de nous parler de lui. Cette écriture à elle seule vaut qu’on la lise, et donne finalement un grand intérêt pour l’étrangeté de cet artiste. Il faut se garder de tout jugement hâtif et réfléchir. Bien sûr, j’ai été particulièrement émue de l’histoire de l’enfant que fut Bas Jan Ader, par ce que fut sa quête du père, fusillé par les allemands. Thomas Giraud regarde les chutes, et les disparitions de l’artiste. Aux Beaux-Arts, Bas Jan Ader et la gomme:
« À un moment tu as arrêté de dessiner pour ne faire que gommer.[…] Tu as réalisé que tu te trompais sur ce qu’il pouvait sortir de bon de ce cours de dessin. Ce n’était pas le dessin qui comptait. Il y avait la gomme dont la forme changeait au fur et à mesure que tu la frottais contre le papier. Cette longue et patiente disparition en petits morceaux de ce beau rectangle frais et souple du premier jour, si blanc et maintenant comme cabossé, gris, tordu. Tu aurais pu conserver comme des dessins d’un genre nouveau les petites pelures de gomme et de papier mélangées: mises dans des pots de yaourt en verre translucide, sur lesquels tu aurais collé de petites étiquettes blanches où tu aurais griffonné avec ton écriture rapide et illisible Bas Jan Ader et en dessous, Cours de dessin, 1961, Académie de Rietveld, ça aurait fait chic. »
et avec lui, devant le visage désarmant et le long corps longiligne de l’artiste, on est pris d’une forte émotion. Sur une coquille de noix il disparut à tout jamais.
Je suis bien incapable d’aller au-delà de ces quelques phrases car ce livre à voix de confidence, de secret chuchoté est vraiment doux à lire, malgré le sentiment d’un ‘intense chagrin qui ressort de la vie brève de Bas Jan Ader.
Thomas Giraud en rend parfaitement la sensibilité et l’infinité de questions que posent cet artiste et son œuvre. Petit opus poétique, tendre et intelligent. Ecriture remarquable, j’ai beaucoup aimé.
« Étonné, tu as du enfiler cet état de somnambulisme décontracté où l’on dit que tout ira bien pourvu qu’on ne pense à rien. Tu as pensé à la douceur du mouvement régulier des vagues et alors que tu imaginais sentir l’odeur des algues, du sel, c’est celle de l’humus, de la forêt qui t’a emporté, avec l’évidente désinvolture des vrais miracles. »
Beaucoup aimé également. J’ai trouvé le ton, l’écriture très justes. Un très bel hommage 😉
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Pareil, j’ai lu ton très beau post ce matin😀
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Intéressant ce portrait de Bas Jan Alder! J’aime beaucoup les extraits que tu as choisis, en particulier celui où il parle de la gomme…
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oui, et Thomas Giraud fait un très beau portrait de ce personnage étrange et sensible
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Je voulais le rebloguer, mais ça ne fonctionne pas…
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Oh, je ne comprends pas pourquoi. Dommage, réessaye, peut être. W a changé pas mal d fonctions, je pagaille un peu aussi !
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Avec le bouton Reddit? En bas de l’article?
Sinon copie le lien de la page
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Ping : Bas Jan Ader (1942-1975) § chute – CultURIEUSE
Merci Martine !
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