« Les fils de la poussière »- Arnaldur Indridason – Métailié Noir/ Bibliothèque nordique, traduit par Eric Boury

« De loin, le bâtiment ressemblait à une prison. Il n’avait été ni rénové ni entretenu depuis des années. On avait procédé à des coupes claires dans le système de santé, ces réductions budgétaires retombaient toujours sur les hôpitaux comme celui-là. Une lumière jaunâtre filtrait à chaque fenêtre, éclairant la nuit noire de l’hiver. C’était un mois de janvier glacial, l’imposante bâtisse semblait grelotter, isolée au bord de la mer, au milieu de son grand parc sombre planté d’arbres. »

Ma reprise en lecture -un peu lente je le sais, mais c’est comme ça – est bien relancée avec ce premier roman du grand Indridason. On sait tous que nombre d’éditeurs sont tentés de sortir des tiroirs ces premiers opus quand la suite a bien marché et parfois, c’est bien dommage. Chez Métailié, c’est autre chose, cette belle et grande maison a eu ici une idée judicieuse et qui m’a beaucoup intéressée.

Tout d’abord voici le retour tant attendu d’Erlendur le Taciturne ! J’en était sûre, mais je ne l’envisageais pas ainsi, ce retour, qui est en fait une genèse. On retrouve l’inspecteur et son adjoint Sigurdur Oli, les deux sont déjà dans une relation conflictuelle intéressante et Erlendur est déjà pas très commode. Mais l’intérêt de ce livre réside surtout sur le fait que l’on trouve en germe plusieurs des enquêtes qui seront menées dans les romans suivants, y compris dans la Trilogie des Ombres; ce côté m’a beaucoup amusée, et je me dis que décidément cet auteur est un malin ! On dirait presque que son œuvre est ici comme planifiée, comme une préface à toute cette série qui m’a tant captivée. Alors de ce fait, les personnages d’Erlendur et de Sigurdur Oli sont juste ébauchés dans leur caractère et leur histoire, l’intrigue par elle-même n’est peut-être pas la plus captivante de toutes, mais elle contient les centres d’intérêts sur lesquels se focaliseront les autres livres comme la science et ses dérives, l’alcoolisme et ses effets comme la violence sur les femmes et sur les enfants, les « métastases » de la guerre et la Situation, la rudesse du pays.

Quand Erlendur, sobrement, exprime un point de vue,et par ce biais nous lève une partie du voile sur son histoire, ses origines et son caractère:

« -J’étais justement dans une classe de cancres, fit remarquer Erlendur. J’ai sans doute une intelligence à peine moyenne, je ne sais pas me comporter correctement, mais je suis aussi issu d’une famille pauvre et je crois savoir que c’est un facteur important dans la constitution de ces fameuses classes. J’ai quitté l’école après le certificat d’études. Je n’ai jamais eu envie d’apprendre pendant ma scolarité et personne n’a jamais eu envie de m’enseigner quoi que ce soit. Mon sort a été scellé dès que je suis entré à l’école et on ne m’a jamais donné ma chance. Voilà les conséquences des classes de cancres. Mais vous trouvez peut-être qu’y mettre certains élèves était une manière de les encourager. »

 

L’histoire de l’Islande est évoquée ici encore avec les écoles, la malnutrition, la misère matérielle et sexuelle, la pédophilie, la culpabilité et l’exploitation des faibles par les forts – inépuisable sujet -.

À travers le drame de Palmi et de son frère Daniel, à travers la vie et la mort de Halldor, on entre dans le monde atroce de la déviance sexuelle mais aussi de la déviance « scientifique » qui par une sorte de délire eugéniste veut faire du profit. Inutile que j’en dise plus. Ce qui m’a plu, c’est bien sûr de retrouver Erlendur, sa mauvaise humeur intimement mêlée à son humanité bourrue. L’écriture est déjà impeccable, pas un mot de trop, une sobriété efficace et sûre ( et merci Eric Boury pour comme toujours une traduction impeccable ).

On apprécie alors la manière qu’a eue Indridason sur sa série de creuser chaque personnage, en particulier Erlendur et son enfance, son obsession à propos de la disparition de ce frère perdu dans la tempête, sa fille droguée évoquée ici, son goût de la solitude et son obstination dans son métier, son équipe et la vie et l’histoire de l’Islande.

Grand plaisir donc à lire ce livre et…tout le monde est-il toujours persuadé qu’Erlendur est mort ? Si vous lisez ce roman, allez savoir, peut-être que vous vous direz que non…

« Quoi qu’il en soit, Palmi allait devoir attendre le lendemain pour écouter ces cassettes. Il prit les cassettes sur la table de la salle à manger et les rangea dans le tiroir de son bureau qu’il ferma à clef. Il prépara un thé qu’il but à petites gorgées en observant par la fenêtre du salon les bourrasques qui malmenaient les branches transies dans la cour de l’immeuble. Il mit un disque de Gerry Mulligan sur l’électrophone: When I was a young man, I never was a young man. »

Je vous propose un autre morceau de Gerry Mulligan parce que contrairement à Palmi, je n’aime pas celui qu’il écoute ! ( qui n’est évidemment pas choisi par hasard par Indridason )

 

13 réflexions au sujet de « « Les fils de la poussière »- Arnaldur Indridason – Métailié Noir/ Bibliothèque nordique, traduit par Eric Boury »

  1. Tout d’abord, un grand merci pour cette chronique et pour m’avoir fait découvert cet écrivain! J’ai une petite question à te poser: j’ai fort envie de lire ce livre en particulier mais visiblement il fait partie d’une trilogie ou ai-je mal compris? Ce que je veux te demander: si j’emprunte ce livre, vais-je avoir des difficultés à suivre l’histoire ou est-ce comme la trilogie de Lousie Erdrich? Je m’explique: avec cette dernière, tu que tu commences par « Dans le silence du vent » ou « La malédiction des colombes » ou le dernier de cette trilogie,LaRose n’a aucune importance vu chaque livre est une histoire à part entière même si certains personnages reviennent dans chaque ouvrage!

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    • Bonjour Wivine !

      Alors en fait, Indridason a écrit une grande série avec le personnage d’Erlendur Sveinson, tous publiés chez Métailié et celui que je viens de chroniquer et qui vient d’être édité est le premier roman de cet auteur et où apparait Erlendur, que l’éditrice a décidé de nous proposer à rebours en quelque sorte. Parfois, publier le premier roman d’un auteur n’est pas une réussite, gratter les fonds de tiroir en surfant sur le succès peut être contre productif. Mais ici, ce n’est pas le cas. Ce que je veux dire, c’est que ce premier volume « fondateur » de la série et du personnage d’Erlendur, à moi qui ai lu tous les autres, m’est apparu comme une genèse, un préambule…Tu vois ce que je veux dire ? Et comme je pense qu’Indridason joue en permanence avec ses lecteurs, il m’a semblé que dans ce premier roman se trouvaient en germe les intrigues, les caractères, les histoires qu’il allait développer dans la série. La trilogie, elle, « Trilogie des ombres », est indépendante de cette longue suite d’enquêtes durant laquelle on a appris à connaître Erlendur le flic bougon. Enfin, il y a eu des romans solos où toutefois avec malice Indridason faisait faire une très brève apparition à Erlendur ( à la manière d’Hitchcock dans ses films, tu vois ? ) comme dans Betty. Enfin, peut-on lire la série dans le désordre, je dirais oui, et du coup tu peux parfaitement commencer par celui -ci et ensuite les prendre chronologiquement ( année d’édition ) si tu veux t’intéresser autant aux vies intimes des personnages qu’aux intrigues. Mais ce n’est pas obligé ! J’espère avoir répondu à ta question, amie belge !

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  2. Quand je lis tes chroniques toujours très élogieuses sur Indridason, je me demande toujours si c’est bien ce même auteur qui m’avait terriblement déçue, et je me dis à chaque fois que non, ce n’est pas possible, je dois confondre !!! J’avais lu ce livre (ne me demande pas son titre, je ne m’en souviens plus) dans un lieu qui ne me plaisait pas -ou plutôt qui ne me plaisait plus-, le froid, l’humidité ambiants m’avaient prise de court, je grelottais et rien ne se passait comme prévu, bref je vivais un instant pas follichon : notre environnement peut-il à ce point influer notre jugement ? Ou bien … ou bien c’était vraiment un autre auteur !!!!!

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