« Tout autre nom » – Craig Johnson – Gallmeister/Americana, traduit par Sophie Aslanides

« Joseph Conrad prétend que, si vous voulez connaître l’âge de la Terre, regardez plutôt la mer déchaînée par une tempête. Si vous voulez connaître l’âge du pays de la Powder River, il suffit de vous trouver du mauvais côté d’un train de charbon. Un gars qui travaillait pour la Burlington Northern Santa Fe m’a dit un jour que, dans le nord du Wyoming, les trains se composent d’environ cent quarante wagons et qu’ils sont longs de deux kilomètres, mais quand on est arrêté pour en laisser passer un, on a bien l’impression qu’ils sont encore plus longs. »

Toujours autant de plaisir à retrouver le vieux copain Walt Longmire, son indéfectible ami Henry Standing Bear et l’inénarrable Vic, son langage fleuri, ses yeux vieil or et sa passion toute neuve pour son shérif. Si ce n’est pas le plus captivant de la série, ça reste un grand plaisir de lecture, presque enfantin que cette nouvelle aventure de Walt, un genre de vengeur, de héros de comics western. Tout commence par un appel du vieux Lucian à propos du suicide suspect de Gerald Holman, policier du Comté de Campbell et une enquête qui va mener à trois disparitions de femmes non élucidées. Voici Longmire, son ami Henry et son chien ( celui qui ne mange que du jambon ) en quête de la vérité. Il y a dans ce livre de nombreuses péripéties, en particulier à la fin, très cinématographiques, des péripéties qui vont mettre en valeur le courage, la bonté, l’intégrité de Walt, mais aussi l’inévitable côté faillible de tout être humain car il saigne quand on le cogne, il ressent bien le froid, la douleur, et même la peur, mais il fait face ! Il fond devant Vic et n’arrive pas à renoncer à son enquête quand sa fille sur le point d’accoucher l’attend à Philadelphie. D’ailleurs, je salue la fin du roman à ce sujet…Entre les bisons et les wagons à charbon, Walt va affronter des adversaires monstrueusement plus costauds que lui, et ce avec un sang froid exemplaire: un vrai héros comme ceux des comics de mon enfance. 

On retrouve ici encore l’hiver glacé et neigeux du Wyoming, ce climat qui rend tout plus long, plus difficile, plus flou, entre rêve et réalité avec le fantôme Virgile bien sûr qui ne manque pas l’occasion de se rappeler au shérif. J’ai appris ce qu’est la main nommée « aces and eights » au poker 

« Cette combinaison particulière de cartes doit sa notoriété à Wild Bill Hickock, car c’est précisément celle qu’il tenait au saloon 10 au moment de sa mort à Deadwood, dans le Dakota du Sud- un peu à l’est de l’endroit où nous nous trouvions.

Selon la croyance populaire, Hicock n’avait que quatre cartes en main-l’as de pique, l’as de trèfle et deux huit noirs-, la cinquième carte n’ayant jamais été dévoilée puisque la partie fut interrompue par Broken Nose Jack McCall, qui tira dans la tête de Bill une balle qui sortit par sa joue droite pour aller se loger dans le poignet d’un autre joueur assis à la table, la cinquième carte devenant à cet -instant le cadet des soucis de Wild Bill. »

J’ai retrouvé avec plaisir encore les dialogues tellement bons ! Craig Johnson est très fort pour ça, il a un sens de la répartie, un art de la conversation absolument merveilleux, même avec un taiseux comme Walter Longmire. J’ai aimé Lucian qui descend les percolateurs pour leur faire cracher leur café

« Le bruit résonna dans l’espace clos du café-bar comme un arbre qu’on abattait, et l’objet se cabra contre la cloison derrière le comptoir comme un criminel blessé avant de se mettre à cracher un jet de café qui se déversa sur le plancher. Le vieux shérif rengaina son Smith & Wesson, passa un index crochu comme une serre dans l’anse et tendit la tasse sous la cascade pour la remplir.

La jeune serveuse apparut à la porte, les deux mains plaquées sur la bouche. Lucian tourna la tête, sourit, lui fit un petit salut de la main et elle repartit en vitesse d’où elle venait.

Une fois sa tasse remplie, il prit la mienne et la tint un instant à quelques centimètres de la fontaine de café.

-Je te ressers ? »

 et Vic dont j’adore le langage et le sens du romantisme:

« Elle m’observa jusqu’à ce que je me mette à me tortiller.

-Ne fais rien de stupide.

-Définis stupide.

-Te faire tirer dessus.

Je rangeai le portable dans la poche de ma veste, remontai la main et ajustai mon écharpe.

-C’est fait.

-Te faire poignarder, cogner, écraser, ou tout autre action qui pourrait te dégrader physiquement un peu plus.

-D’accord.[…]

Elle s’approcha et attira mon visage vers le sien, le vieil or engloutissant le monde entier.

-Walt, disons les choses clairement. Quelqu’un t’a mis sur la liste des hommes à abattre.

-On n’en sait rien…

Elle me serra plus fort.

-C’était un tueur professionnel, ne l’oublie pas.

-Non.

-Et sois dans cet avion à onze heures quarante-deux ou tu n’auras plus à te demander qui a mis un contrat sur ta tête.

-Promis.

-Et fais en sorte de ne pas fourrer ta bite dans un nid de frelons.

J’acquiesçai.

-C’est bien quelque chose que j’éviterai de faire, je t’assure.

-Tant mieux parce que j’ai des projets pour elle. »

Je vous laisse au plaisir relaxant de ce livre de pure détente, de haute qualité d’écriture (sans parler de la toujours aussi bonne traduction ), où l’auteur trouve une fois de plus l’occasion de faire quelques clins d’œil littéraires. J’aime toujours autant le Comté d’Absaroka, son shérif, son hiver, ses bars, j’aime toujours autant l’écriture si vivante de Craig Johnson.

« -Je viens de passer deux jours un peu difficiles.

-À courir après des méchants?

Je souris bien que cela me fit souffrir, sa question me rappelant le message que ma fille avait enregistré sur mon répondeur: Vous êtes bien chez les Longmire, nous ne pouvons pas vous répondre pour le moment, parce que nous sommes en train de courir après des méchants ou d’essayer de nouveaux chapeaux blancs… »

-On peut dire ça.

-Des bandits qui attaquent les trains?

-Non. »

 

21 réflexions au sujet de « « Tout autre nom » – Craig Johnson – Gallmeister/Americana, traduit par Sophie Aslanides »

  1. Vu le livre samedi dans la vitrine de mon libraire et me suis dit : certainement bientôt un article de Simone ! Et voilou – je te remercie ! C’est toujours un plaisir immense….. Je le note pour les vacances !

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  2. Comment ne pas aimer un livre de Craig Johnson et de son personnage si attachant, le shérif ( et un peu l’alter ego de Johnson vu que l’auteur fut lui aussi shérif et policier et vit dans un ranch dans le Wyoming)? Et comment ne pas craquer pour un nouveau livre d’un auteur que l’on aime déjà, surtout après avoir lu une chronique de notre amie SImone? Dur de résister!

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  3. Mon Dieu ! Craig Johnson est juste formidable, très abordable en plus de cela ! ❤ Je suis en retard dans les aventures de Longmire, mais je vais trouver le temps d'avancer ! 🙂

    Merci pour ce focus, qui me met un sourire jusqu'aux oreilles !

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    • Bonjour et merci du commentaire ! Ah moi je l’aime cet homme ! Le shérif et son créateur, deux bons gars ! 😉
      Dis-moi, ton blog est nouveau ou bien il a changé de nom? Les miscellanées ça me dit quelque chose sur la blogosphère…En tous cas, je suis !

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      • Exactement, deux bons gars à la répartie sans pareille ! 🙂

        Le blog est nouveau, je n’avais pas connaissance d’autre « miscellanées », j’espère qu’il n’y aura pas d’incident diplomatique…

        Merci beaucoup de ton suivi ! 🙂

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          • Ouf ! Me voilà rassurée ! 🙂

            J’avais commencé la série dès sa parution en France à l’occasion d’une rencontre avec l’auteur, je vais les poursuivre dans l’ordre mais vu que je suis toquée, il me les faut tous dans le même format (je dois en avoir 4 ou 5), donc les recommander à mon libraire. 😉

            Mais ce sera avec plaisir que je lirai tes impressions après mes lectures, car je rate parfois des choses. ^^

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          • Little bird reste dans mes préférés – peut-être pour le plaisir de cette découverte – et puis aussi Tous les démons sont ici, magistral ! Bonne lecture ! Je vais revoir Craig Johnson encore cette année aux Quais du Polar, rien que de voir son chapeau, ça me fait plaisir, c’est dire ! 😉

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          • Pareil, Little Bird m’avait littéralement transportée, mais je crois que chaque premier volume fait cet effet, on découvre, on s’immerge complètement. Après, je m’étais un peu essoufflée, sur Dark Horse, commencé mais jamais terminé. Honte à moi ! 😉

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    • Comment ne pas aimer ce /ces personnages ? Et leur créateur ? Alors tout de même cette aventure n’est pas la meilleure, mais je suis inconditionnelle ! Je crois bien que tous sont chroniqués chez moi, Little Bird et Tous les démons sont ici m’ont vraiment marquée

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