« Urgences et sentiments » – Kristof Magnusson – Métailié/Bibliothèque allemande, traduit par Gaëlle Guicheney

« Le bulletin météo succédant au journal de la nuit annonça qu’une énième journée prolongerait cette vague de chaleur dont Anita Cornelius pensait ne jamais voir la fin. Depuis des semaines, la canicule l’empêchait de trouver le sommeil, à l’instant encore elle avait essayé avant de se raviser pour allumer la télévision et regarder les informations en mangeant les derniers crackers laissés par son collègue de l’équipe de jour. »

Le titre de ce roman est peut-être bien son point faible car pour le reste j’ai beaucoup aimé côtoyer Anita Cornelius, urgentiste rattachée à l’hôpital Urban à Berlin, la suivre et comprendre sa vie. Une vie de femme mais aussi une vocation puissante de secourir autrui, qui que ce soit et quelles que soient les circonstances. J’ai aimé Anita parce que sa vie assez commune en apparence est pourtant une vie unique. Car il n’y a point de vie ordinaire, chacune est unique par ce que nous en faisons de bien ou pas ( deux notions variables). Anita a quelque chose d’universel – elle vit, travaille, aime, est mère, épouse, fille, elle dort, mange et boit, rit et pleure – mais Anita aide, écoute, pallie aux douleurs et aux manques, rend utiles et concrets sa compassion et son sens de l’humanité, elle veille la nuit, prête à partir pour rendre du souffle, relancer un cœur, réparer un membre avant d’emmener les gens vers l’hôpital et plus de soins.

Et sa vie personnelle, dans tout ça ? Anita a été l’épouse d’Adrian et a un fils de ce mariage, Lukas, adolescent qui soigne ses coupes de cheveux et commence à être réfractaire aux câlins de sa mère. Le couple s’est séparé et si Anita est seule, Adrian vit avec Heidi. Quant à Lukas, pour des raisons pratiques, il vit chez son père, mais visite sa mère souvent. Anita a fait cette concession à cause de son travail et de ses horaires de nuit souvent. Tout semble se passer en bonne intelligence. Mais un jour Anita va secourir Adrian dans des circonstances qui pourraient faire tort au médecin et elle choisit de ne rien dire, au grand regret de son compagnon de travail, Maik qui pour la première fois voit dans le choix d’Anita une faute d’éthique.

Anita sort un peu de sa léthargie sentimentale avec Rio, bel homme qui construit des bateaux en bois:

« Ses pensées la ramenèrent au Wannsee, Rio. Au cours des quinze années avec Adrian, pas une seule fois elle n’était tombée amoureuse de quelqu’un d’autre, pourtant elle se souvenait encore très bien de ce sentiment imprévisible de profonde légèreté, déferlant par vagues, sans prévenir, aux moments les plus incongrus, et qu’elle avait éprouvé lorsque Adrian et elle venaient de faire connaissance. Elle l’éprouvait à nouveau. Tomber amoureux, c’est visiblement comme faire du vélo ou jouer aux petits chevaux: ça ne s’oublie pas. »

Pourtant, le petit secret d’Adrian qu’elle découvre, puis une conversation chez son ex avec Lukas et la très chic Heidi se mettront dans les rouages de ce qu’elle croyait une solitude assumée, une vie dédiée au travail et au secours…Anita va sentir monter en elle une colère froide face aux propos tenus par son fils surenchérissant sur Heidi, tandis qu’Adrian se tait. Car c’est sa mission qui est remise en cause, des propos qui heurtent tout ce qui fonde sa vie quand son propre fils parle de « taxi à clodo » ( l’ambulance ) et de ce que nous entendons ici aussi très souvent, « les assistés », les fainéants « , etc etc, ainsi Anita abasourdie participe à ce genre de dialogue:

« -Il n’a qu’à se prendre une aide à domicile, remarqua Lukas.

-M.Schmidt?

-S’il n’arrive plus à se débrouiller.

-Mais il n’a pas d’argent. Il vit dans un cabanon.

-Sérieux? C’est un clodo? demanda Lukas.

-Qu’est-ce qui te fait dire ça? s’étonna Anita.

-C’est la caisse maladie qui paie l’unité de soins intensifs, glissa Heidi.

-Oui.

-Donc au final, tous ceux qui cotisent. Donc nous, dit Lukas en regardant Heidi qui avait déjà commencé à hocher la tête avant qu’il n’ait fini.

-C’est le principe, oui, dit Anita.

-Notre système de santé aussi a besoin de faire des économies, rétorqua Lukas. Anita se retint d’objecter. Il aurait été facile de remporter la joute verbale contre son fils, cependant elle ne voulait pas être méchante.[…] Néanmoins Anita était perturbée. »

Bien sûr, aussi maladroite que puisse être parfois Anita, c’est son intégrité qui la rend gauche avec ceux qui étaient sa famille. J’ai aimé cette femme, je me suis sentie en empathie avec elle et la voir chuter dans une sorte de dépression sourde, s’enfermer dans une solitude un peu morbide m’a touchée. Elle saura faire tomber les masques sans pour autant en faire une vengeance parce qu’Anita n’a pas de méchanceté en elle, mais du chagrin, elle saura retrouver son équilibre, et c’est son travail qui le lui rendra, et puis Rio et son indéfectible ami Maik.

Je n’ai rien à dire de plus sinon que j’ai beaucoup aimé ce livre, plus intelligent que le laisse supposer le titre, et puis cette Anita dont on se sent proche; l’auteur est un très bon portraitiste et présente ici un personnage profond, fin et attachant. 

17 réflexions au sujet de « « Urgences et sentiments » – Kristof Magnusson – Métailié/Bibliothèque allemande, traduit par Gaëlle Guicheney »

  1. Les titres des livres…Est-ce une faute typique de beaucoup de lecteurs et de lectrices? Un mauvais choix de ou des traducteurs/trices ou tout simplement un mauvais titre? En lisant le titre, j’étais un peu perplexe! Un titre peut tellement ( souvent trop!) influencer nos choix lorsqu’il s’agit de lectures! Combien de fois n’ai-je pas attendu des années avant de lire un chef d’oeuvre parce que le titre ne me donnait envie ni envie de lire le résumé du livre ni les critiques? Il m’aura fallu 40 ans, oui, tu as bien entendu, 40 longues années avant de lire  » L’attrape-coeurs » de J.D. Salinger à cause du titre qui ne me disait pas grand chose! J’ai lu des articles sur « A catcher in the rye » et j’ai fini par lire le livre en version originale et là on se rend compte pendant la lecture que le titre original est un très bon choix. C’est devenu un de mes livres préférés, un livre qui m’a beaucoup touché! Tout comme ce livre de Kristof Magnusson dont tu nous parles si bien ci-dessus! L’histoire a l’air d’être très intéressante, touchante, surtout l’histoire du caractère principal, l’ugentiste!

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    • Oui, tu as raison, le titre est important. Mais ici, tout d’abord, j’ai là une maison d’édition vraiment formidable, qui m’a rarement déçue – parfois simplement un livre n’est pas vraiment pour moi, pour autant ça n’en fait pas un mauvais livre – . Métailié a je trouve une ligne éditoriale sans faute, alors je ne me suis pas fiée au titre,j’ai fait confiance et j’ai bien fait. Anita est une très belle figure féminine, un très beau personnage auquel je me suis attachée tout de suite.

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  2. J’ai fait ma petite recherche. Apparemment, le titre original est « Arztroman ». N’étant pas du tout germanophone, j’ai demandé conseil à Réverso qui m’a gentiment informée que Artz signifie « médecin ».
    On est alors en effet en droit de s’interroger sur le choix de cette « traduction » qui déforme le titre original, et, sans doute, les intentions de l’auteur. Est-ce pour se démarquer d’autres romans pouvant faire analogie (bien que « journal d’un médecin de campagne » soit le seul qui me vienne en tête) ?
    A contrario des remarques fort justes de Wivine, j’avoue avoir aussi parfois* acheté un livre uniquement parce que le titre m’avait séduite ou amusée (comme « l’histoire du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa »). Et puis, honnêtement, est-ce que « le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » aurait eu autant de succès sans ce titre alléchant ? … !

    * mais ça c’était avant : maintenant, je me fie aux choix de Simone !!!

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    • Ah ah ah ! Que tes commentaires sont revigorants ! Perso, j’essaye de ne pas me fier au titre, à la couverture . Non, je me fie à ma curiosité par la présentation de l’auteur, et le plus souvent, je fais confiance à la maison d’édition. Je suis bien obligée de lire la 4ème de couverture pour le sujet, mais parfois ça en dit trop et parfois c’est trompeur. Mais ça fait partie du jeu ! Vous le savez, les copines, si ça ne me plait pas je ne lis pas…

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        • Il m’arrive de faire comme toi, ça marche ou pas, mais comment choisissons-nous nos lectures?…Ben c’est un peu mystérieux; on peut dire l’auteur, le sujet, des ouï-dires, la couverture, pourquoi pas et le titre, critère de choix aussi aléatoire que le reste. Il faut je crois essayer, si ça ne plait pas, on laisse…Mais donc pour ce livre-ci, mon choix s’est fait sur la qualité de l’éditrice, sur la confiance que j’ai en cette maison ( la formidable Camille m’a confirmé l’explication de Bernhard sur le titre à lire au second degré ) qui n’apporte jamais du tout-venant.

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    • Cachou – il faut savoir qu’en Allemagne « Artzroman » est « même » une sous-catégorie des Harlekin… Le titre allemand est légèrement ironique parce que le roman renverse les codes de ce type de romans de gare pour en faire sorte de « roman d’aventure au ralenti » avec des formulations et expressions toutefois (en allemand encore) qui se rapprochent de ce genre léger…. avec par contre une approche d’entomologiste et documentaliste de la vie d’une médecin dont la vie professionnelle ente en collision avec sa vie privée.

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    • C’est pour cela qu’à présent, si j’ai un doute à cause d’un titre, je me renseigne, je lis des articles sur le ou les livres en question et cela ne m’arrive plus tellement souvent de faire ce genre d’erreurs! J’emprunte aussi plus que je n’achète sauf s’il s’agit du dernier Erdrich que j’ai commandé! Pour cela, nous devons remercier interenet, j’imagine! Et SImone, à qui je fais entièrement confiance! Mais c’est aussi sur « Goodreads », « Babelio » que j’ai découvert des écrivain’e)s comme Louise Erdrich, Laura Kasischke, Ron Rash, David Vann, Jennifer Egan, Ann Prachtett, Jim Harrison, Joyce Carol Oates, Margaret Atwood et un tas d’autres! Il y a une dizaine d’années, la littérature s’arrêtait pour moi à Walt Whitman ou plus récent, Dylan Thomas! Pour ce qui est des romans, il y avait Hemingway, Steinbeck, Kerouac, Ginsberg, Burroughs, Bukowski, Sylvia Plath…et tous les grands autres écrivains de la « Lost generation » et de la « beat generation », sans oublier les grands classiques! Je les aime toujours autant et j’ai relu il n’y a que peu de temps « La cloche de détresse » et « Ariel » de Sylvia Plath! Et à présent, je me surprends à lire et avoir adoré un livre de la grand-mère du rock punk, qui est aussi une merveilleuse poète, Patti Smith et ses merveilleux « We were just kids » et « M.Train »! J’ai un avantage, je connais deux personnes qui travaillent à la bibliothèque depuis mon enfance où je m’y rendais avec ma maman qui m’ont fortement conseillé ce livre! Puis en tapant encore « Patti Smith » parce que j’avais envie de lire son dernier recueil de poèmes, j’ai fait la connaissance d’une écrivaine française dont je n’avais jamais entendu parlé plus tôt: « Albertine Sarrazin », surtout connue pour « l’Astragale » que Patti Smith aime beaucoup, j’ai adoré! Mais avant « l’ère Internet », nous n’avions pas accès au catalogue de notre librairie préférée, de notre bibliothèque communale avec un tas d’informations sur tel ou tel auteur, tel ou tel livre! Il m’arrive encore d’être très déçue! En tapant « Jennifer Egan », on me propose un certain Jonathan Franzen, « lun des plus grands écrivains contemporains américains », avec des titres fort attirants et, cerise sur le gâteau, dans la même liste que Joyce Carol Oates ou encore Laura Kasischke! J’ai essayé « Les corrections » et « Freedom », j’ai abandonné au bout de 50 pages…Mais c’est sur cette même liste que j’ai découvert d’autres perles! J’ai donc décidé de ne plus me fier qu’à mon instinc, après lecture de résumés pour ne plus avoir des déceptions comme celle que j’ai eue avec Marisha Pessl! Pessl, « la nouvelle Donna Tartt » ( son premier roman a été fortement comparé au magnifique « Maître des illusions » de Donna Tartt ), comparée aussi à John Iving, à Richard Ford, à Kasischke…Comment résister? Ce ne fut qu’un amalgame de mots plus compliqués les un que les autres, de références à d’autres auteurs quasiment à chaque page! Non, « La physique des catastrophes » n’a rien à voir avec « Le maître des illusions »! C’est pour cela qui je préfère emprunter plutôt que d’acheter les livres! Sauf en ce qui concerne les écrivains dont j’ai aimé presque tous les livres jusqu’à présent! Je suis originqiare d’un village du livre dans les Ardennes Belges et chaque année, il y a un week-end magnifique, le week-end du livre! Dans chaque grange, des milliers de livres à 1 – 2 -5 -10 …euros, tout depend de la qualité et de l’édition! Là, je vous assure que je me laisse aller et que mes soeurs doivent souvent venir me chercher lorsqu’il commence à faire noir dans toutes ces librairies cachées dans d’anciennes fermes transformées en librairies! La dernière fois, je suis revenue avec une très belle édition de « Sur la route » de Kerouac, « La peste » de Camus (que j’avais déjà lu mais je n’ai pas pu résister) et un tas d’autres petits trésors!

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      • Ma chère Wivine, je crois que tu devrais ouvrir un blog, toi aussi ! J’adore te lire ! Pendant des années j’ai fréquenté les bibliothèques, je me suis occupée d’un petite de campagne aussi durant 12 ans, avec passion et aussi parfois un grand sentiment de solitude, mais j’y ai rencontré des personnes formidables aussi. Et puis j’achète aussi, c’est compulsif chez des lectrices comme nous, on ne peut pas s’en empêcher, le simple fait de tenir le livre entre les mains, c’est un plaisir assez inexplicable au fond…Il y a un village du livre pas loin de chez moi, à Cuisery, et j’en ai visité un autre dans les Corbières, Montolieu. Il va falloir que j’aille un jour dans tes Ardennes visiter le tien ! Et en ta compagnie, ce serait top, non ? Je t’embrasse, Wivine !

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  3. On oublie le titre, alors… J’ai lu un autre roman de l’auteur (C’était pas ma faute) et je l’avais trouvé plutôt brillant, malgré un sujet pas forcément accrocheur (la Bourse).

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