« La peine capitale » – Santiago Roncagliolo – Métailié Noir, traduit de l’espagnol (Pérou ) par François Gaudry

peine-capitaleJe crois bien que je n’avais jamais lu de polar péruvien, c’est chose faite . Décidément, la littérature est une source infinie d’étonnement, de découverte et ce livre en est l’exemple parfait .

L’histoire se déroule en 1978, à Lima, alors que le Mondial de football organisé en Argentine ( juré, je n’ai pas choisi ce livre-ci exprès ! ) se diffuse à grands cris dans les postes de télévision des appartements de la capitale péruvienne. Que vous soyez amateur de ce sport ou pas, que vous apparteniez à ma génération ( j’avais 17 ans ) ou pas, vous en avez sans doute entendu parler, de cette sinistre époque où les dictatures les plus dures sévissaient en Amérique du Sud, et particulièrement en Argentine. Et de cette coupe du monde qui déclencha de nombreuses manifestations de colère et une juste controverse, alors qu’on savait ce qui se déroulait à deux pas du stade Monumental, dans les sous-sols de l’ESMA (Ecole supérieure de la mécanique marine ).

« PÉROU – ÉCOSSE

Il avait pris ce chemin des dizaines de fois. La ruelle, les vendeurs de boissons, l’odeur de friture, le brouhaha. A Barrios Altos, dans le labyrinthe des vieilles maisons, des tunnels et des taudis, il pouvait passer inaperçu. Même son dangereux fardeau serait invisible au milieu de la foule. »

J’ai été complètement bluffée par la construction de ce roman, de grandes parties titrées par les matchs, un premier paragraphe qui place le lecteur dans le vif du sujet, mais reste mystérieux, le tout sur fond sonore des commentaires sportifs diffusés sur les ondes, dans une ville toute concentrée devant les postes…Un homme se presse dans les ruelles de Lima, portant un mystérieux et dangereux paquet tout contre son épaule. Bluffée aussi par le talent de l’auteur à nous faire passer de la comédie au drame le plus sombre et d’un personnage léger et sans grande conscience des réalités du monde donner naissance à un enquêteur qui ira jusqu’au bout, acharné à trouver la vérité. 

Nous faisons connaissance avec Félix Chacaltana Saldívar, jeune homme propret, un peu psycho-rigide, féru de droit, de respect de la loi et de la vérité, amoureux d’une charmante Cecilia qui provoque chez lui des éruptions inopinées le rendant confus, bref, un naïf dans toute sa splendeur.

« Chacaltana non seulement mentait mal, mais il disait la vérité même quand il ne s’en rendait pas compte. »

Il vit chez sa maman, grenouille de bénitier, acariâtre et en deuil éternel d’un mari militaire dont la photo trône sur un guéridon.

« Félix Chacaltana Saldívar ne perdait jamais la tête. De sa bouche ne sortait jamais un mot grossier ou un ton arrogant. Il était incapable de se disputer avec personne. »

Félix est assistant-archiviste au Palais de Justice de Lima, comblant dans ces caves son bonheur à trier, classer et scruter des procès verbaux. Jusqu’au jour où un de ces papiers va lui poser problème, point de départ de tout ce qui va se dérouler ensuite.

Dans une écriture classique mais riche en clins d’œil, l’auteur va l’air de rien nous emmener au cœur de l’intrigue, d’abord en douceur, truffant d’un humour fin mais pourtant féroce les portraits de ses personnages. Parlant de la mère:

« Elle avait placé sur la veste de son tailleur rose une broche représentant la Vierge Marie, ce qui devait être, à ses yeux, un signe de sensualité. »

Ou d’une étreinte avec une belle blonde:

« Chacaltana se serra plus fortement contre Susana Aranda et, par respect pour elle, s’efforça de penser à de petits moutons, aux édifices coloniaux et autres choses qui ne provoquent pas d’excitation. »

stadeArgentina_343

Lumagutierrez : Estadio Monumental de Buenos Aires desde el aire

Mais on va vite en finir avec cette ambiance encore assez légère,  Roncagliolo nous empoigne et nous tire vers un roman très noir et politique, dont les protagonistes souvent doubles à l’opposé de Félix ont des choses à cacher, de sordides histoires sur la conscience et un présent pas tellement plus net. Cependant, et c’est troublant, peu attirent la haine, mais plutôt le dégoût ou la pitié. Il y a ceux qui s’arrangent avec la situation, essayant d’en tirer quelque profit ou avantage, ceux qui ferment les yeux en continuant leur train train quotidien, et puis il y a Félix…Le Pérou est à quelques jours d’élections qui vont mettre fin à la dictature militaire, mais pour autant, difficile de dire que la démocratie va triompher, et là encore l’auteur manipule avec brio le langage, ses finesses et ses ambiguïtés. Notre héros va ainsi perdre une bonne part de sa naïveté et se retrouver dans une histoire qui le dépasse, sans finalement renoncer à son goût de la vérité, se balançant entre les factions, passant entre les gouttes, comme protégé par sa sincérité. Au terme d’une enquête qui révélera un état des lieux politique sordide, il aura tout de même remis en doute ses notions du bien et du mal et de l’honnêteté. Autre époque, autre pays, une façon différente de la nôtre d’aborder les événements, et puis la description des matchs diffusés à la télévision, les réactions des supporters en bande-son, belle idée, tout ça fait de ce roman une lecture passionnante et prenante. 

J’ai donc beaucoup aimé ce livre que je n’ai pas lâché. Autant pour l’humour (vraiment j’ai ri souvent dans le premier tiers du livre ) que pour la capacité à créer des personnages qui se complexifient au fil des pages, et qui évoluent dans une intrigue intelligente. Un formidable talent, un excellent roman. 

Cette époque des dictatures en Amérique du Sud est encore récente. Je ne ferai pas de commentaires sur ce Mondial de football de 1978, taché de sang et de honte, avec entre autres – anecdotique à côté du reste –  le match « victorieux » de l’Argentine contre le Pérou.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet, sur le Pérou et sur les dictatures de cette époque outre les deux liens dans cette chronique, il existe un grand nombre d’articles qui y sont consacrés, documentaires et films, comme ci-dessous, et il y a ce livre, une bonne façon d’aborder ce sujet, une réussite.

12 réflexions au sujet de « « La peine capitale » – Santiago Roncagliolo – Métailié Noir, traduit de l’espagnol (Pérou ) par François Gaudry »

  1. Puisque te voilà convaincue par Roncagliolo, n’hésite pas à lire « Avril rouge » qui se passe après cet opus mais a été écrit il y a déjà quelques années.

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  2. Aîe, aïe … je rajoute aussi celui-ci à ma liste …. et je demande ma retraite anticipée, pour cause de retard de lecture 🙂

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    • Oh ben oui ça va le faire ! Puisque ça l’a fait avec moi, qui n’aime pas le foot ! Et puis c’est un épisode du foot pas glorieux, le fond est surtout politique, en fait.Vraiment, c’est un bon livre, très bon, même. La part du foot lui-même, du jeu, ce sont de courts chapitres qui retranscrivent des commentaires télévisés, plus drôles que barbants ! 😀

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  3. ah je suis ravie de trouver quelqu’un qui a autant aimé ce livre (et qui se fiche du foot) ! depuis j’ai Avril Rouge sur ma LàL – comme toi j’ai tout aimé dans ce roman !

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