« Grossir le ciel » – Franck Bouysse – Le Livre de Poche

grossir le ciel« C’était une drôle de journée, une de celles qui vous font quitter l’endroit où vous étiez assis depuis toujours sans vous demander votre avis. Si vous aviez pris le temps d’attraper une carte, puis de tracer une ligne droite entre Alès et Mende, vous seriez à coup sûr passé par ce coin paumé des Cévennes. »

Je sais, je suis toujours en retard d’un livre, mais qu’importe ! Lire celui-ci alors que sort le second ( « Plateau » ) permet de le remettre entre les mains des personnes qui ne l’avaient pas lu.

Si comme moi vous connaissez cette région, vous avez déjà planté le décor de l’histoire tragique que va nous raconter Franck Bouysse. Avec quelle plume et quel talent !

Dans le hameau des Doges, quelque part entre Le Pont-de-Montvert et Grizac vit Gus en compagnie de son chien Mars. Un peu plus loin, son plus proche voisin, plus vieux, Abel. 004 (2)Des hommes rudes, qui travaillent dur sur leurs fermes, mais qui ne s’envisagent pas ailleurs. En un peu plus de 200 pages va se dérouler un drame pour ces deux hommes, fait de révélations et de sang. Vous savez que je n’en dirai pas plus sur le nœud de l’histoire. Franck Bouysse, avec sensibilité, poésie, intelligence, avance de page en page dans la vie de Gus, il nous met dans ses pas, ses journées et ses pensées. Car, tout rustre qu’il semble, il pense, Gus, et il est loin d’être idiot. En phase avec son environnement, il va voir, trouver, s’interroger. C’est un homme des traces, des odeurs, des perceptions fines de la nature, comme son chien Mars qu’il aime tant. Sur ce sujet, l’auteur donne vie à des pages sublimes qui m’ont fait pleurer et des images si jolies comme celle-ci :

« Il sortit pour l’appeler, s’attendant à ce que le chien rapplique avec ses oreilles se balançant comme des gants de toilette sur un fil à linge par grand vent […] »

Parfois, lors des rares rencontres que fait Gus, un dialogue savoureux, comme celui avec le banquier (page 78 ) ou avec le démarcheur évangéliste, le « suceur de bible » comme il l’appelle ( page 108 ). Et puis, Gus fait peur…Il n’est pas très soigné comme on dit, ses cheveux ne sont pas coupés, ses vêtements déclassés, il n’est pas très beau. Il a été un enfant délaissé, Gus, il n’a eu que sa mémé pour l’aimer et lui donner un peu de tendresse…et ses chiens, surtout Mars.

« Il lui disait alors qu’elle était une fée pleine de rides et elle répondait en souriant qu’elle n’en était pas une, que les fées étaient toujours belles et jamais vieilles, que c’était à ça qu’on les reconnaissait. »

Comment vous dire? J’ai pensé à des Gus que j’ai croisés, dans cette région et dans d’autres. J’ai pensé à une exposition de photos vue et entendue – car il y avait une bande-son avec les bruits des fermes et des travaux des champs – en Haute-Loire, sur ces gens en voie de disparition. J’ai pensé au fameux Pierre des Boutières sur les contreforts du Mézenc, aux paysans de Raymond Depardon. Sous la belle plume de Franck Bouysse, ces gens sont pleins d’épaisseur, de chair et d’esprit, ils sont comme les chaos granitiques sur le chemin vers le col de Finiels, plantés, inamovibles, posés en maîtres des lieux.

005 Comme Bouysse nous décrit le bistrot du Pont-de Montvert, le père Peyrot qui n’entend pas se laisser commander par Paris, comme il décrit ces paysans qui se retrouvent là de temps à autre, le temps de siffler quelques verres de rouge, d’égrener les dernières nouvelles, comme il nous les donne à voir comme un de ces dessinateurs qui croquent sur le vif, en quelques coups de crayon nerveux, comme ça, bellement et avec une grande force, Franck Bouysse, en poète, chante des hommes et leur pays.

Et c’est peu dire que j’ai aimé ce livre et que j’ai très envie que vous le lisiez, vous aussi.

19 réflexions au sujet de « « Grossir le ciel » – Franck Bouysse – Le Livre de Poche »

  1. M’a bien plu ce livre, et j’adore la Lozère : le seul coin de nature où je me sente bien moi qui n’aime que la ville et le béton. Je vais certainement lire le nouveau, dont je n’ai pas entendu que de bons échos (parait que c’est plein de mots qu’on ne comprend pas du premier coup, moi je trouve que c’est plutôt un atout…).

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    • Figure-toi qu’en lisant ce roman rural, je pensais à toi en souriant ! Si si ! Moi qui aime la campagne, la plus paumée possible, les Cévennes sont pleines de petites vallées cachées ou de minuscules villages tapis dans les châtaigneraies. Bref, j’aime cette région et j’ai vraiment aimé ce roman. Le second de cet auteur a fait l’objet d’un jeu de massacre assez moche avant même qu’il paraisse, mon ami Bruno m’a dit qu’il était beau, ça me suffit pour avoir envie de le lire.

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    • Ce sont des photos personnelles, assez anciennes. Ma découverte des Cévennes date d’il y a 30 ans environ. Le pont est celui du Pont-de -Monvert , coin où se déroule l’histoire. Je me souviens y avoir vu une expo sur la bête du Gévaudan, et avoir marché sur la grande draille qui monte sur le Mont Lozère. Une région où l’imaginaire s’envole. Très beau livre

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  2. Ping : Mes Quais du Polar, 2016 | La livrophage

  3. Je fais un bon en arrière en faisant des recherches sur un livre réservé à la bibliothèque, « L’homme peuplé », je me demandais si tu l’avais lu! Celui-ci était mon préféré de cet auteur talentueux! A partir de « Né d’aucune femme » (un très bon livre), mais que j’ai moins aimé son écriture qui, jusqu’à « Glaise » n’était que simplicité et poésie, me faisant penser tantôt à Ron Rash, tantôt à un livre de Nicko Tackian. C’est sans doute difficile à croire, mais il a écrit une petite merveille, « Solitude » que je te conseille vivement, tu seras agréablement surprise!

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    • Je me suis arrêtée à Né d’aucune femme, et ne me sens pas en ce moment portée vers cet auteur dont j’ai adoré les 3 ou 4 premiers romans. Je ne connais pas Nicko Tackian, mais comme tu le sais, on ne peut pas arriver à tout lire et tout connaître, peut-être quand j’arrêterai le blog, pourrai-je accéder à tout ce qu’il me reste à lire. Pour l’heure, je remplis ma mission de faire découvrir la plupart du temps de nouveaux auteurs qui en ont besoin. Je t’embrasse, Wivine

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