Eh bien, pour le moment, jamais déçue par les romans de Sorj Chalandon. Celui-ci est peut-être le plus poignant de ceux que j’ai lus, une lecture très forte, très émouvante voire parfois éprouvante. C’est une histoire effrayante aussi. D’autant que c’est en filigrane l’histoire du petit Sorj, alias Émile, et de ses parents; sa mère, femme éteinte et soumise, son père, violent et surtout mythomane. Mais ça, Émile l’ignore, son père, héros aimé et craint tout à la fois, l’a inclus dans son délire. Histoire d’un enfant rejeté, victime de la folie paternelle. Allez : j’ai pleuré. Vous le savez, moi et les histoires d’enfance…
Il est très difficile de parler de ce roman, mais j’y ai retrouvé l’écriture sobre, claire de Chalandon, des sentiments où chacun peut se retrouver, parfois douloureusement. Son père l’a surnommé Picasso, parce qu’Émile dessine, peint – autant dire une activité vaine pour le père – mais c’est ce qui le sauvera et lui permettra de vivre. Plus on avance dans le récit et plus on plaint cet adolescent, manipulé, malmené; jusqu’au terrible déchirement, à l’âge adulte, alors qu’il a trouvé l’amour en une sorte de cocon aimant et doux.
Ce livre, pour moi, aurait du être sur la liste des Goncourt. Parce qu’il a toutes les qualités qui font un grand roman. Parce que c’est bien un « objet romanesque » comme le dit Chalandon, pour un personnage authentique, mais qui ne vit que hors de la réalité. C’est l’histoire d’une folie et de multiples souffrances, l’histoire d’une prison.
Et « profession du père », c’est la question sur la feuille de renseignements qu’Émile doit remplir à sa rentrée au collège…
« Mon père disait qu’il avait été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du Général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer De Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
Á 13 ans, c’est drôlement lourd, un pistolet. »
J’ai adoré ce bouquin, vraiment, pour la sincérité sobre et mesurée, pour la capacité à se dire à travers une histoire. Parfois on rit, pour l’invraisemblance des délires de ce père, et la totale crédulité de son fils, qui veut que ce soit vrai et que son père soit un héros à la vie palpitante et aventureuse. Mais j’avoue que de mon côté, j’ai plus frémi d’horreur que souri. Parce que nom d’un chien, quelle ambiance dans ce logement qui sent le renfermé, la solitude, le chagrin, qui est traversé de tensions violentes, électriques, comme si un drame pouvait survenir à chaque instant – et parfois il survient – , quel univers étriqué et terrifiant pour un enfant ! Alors on ne s’étonne pas qu’il se laisse emmener dans le monde secret du père. Pour oublier si possible les coups, les humiliations subies, l’absence d’amour; le lecteur reste là avec sa compassion pour cet adolescent manipulé, et on se dit qu’il faut être très fort pour revenir de tout ça. La fin du roman est totalement bouleversante:
« Monsieur Choulans ? a interrogé le psychiatre.
J’ai regardé ma mère, inquiète pour elle, pour son mari, pour moi.
-Désolé, Maman.
Et puis j’ai raconté. Les coups, les mensonges, l’Algérie, Ted, les lettres anonymes, la peur. J’ai raconté l’angoisse d’un enfant. J’ai raconté l’armoire, la maison de correction. J’ai raconté le pistolet, le béret, Biglioni. J’ai raconté ma mère en épouvante et son fils en effroi. »
et puis voilà, je vous conseille ce livre, moi j’ai vraiment trouvé ça superbe et d’en parler j’en suis encore très émue. Un livre qui prend aux tripes, d’une sincérité remarquable et à l’écriture parfaite, pour moi à ne pas manquer.
Á lire ( mais aussi articles du Point ):
Et à écouter
J’en ai entendu beaucoup de bien et mes collègues l’ont beaucoup aimé. IL a l’air très émouvant, et assez triste aussi.
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Oui, vraiment un très beau livre, mais j’aime énormément cet auteur, l’homme aussi, et là oui, c’est triste, moi les histoires d’enfance me touchent, tu le sais…Mais une histoire, une vie incroyable, terrible.
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Je n’ai jamais été déçue par cet auteur et tu me donnes encore plus envie de lire ce dernier roman.
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Comme moi alors; un très très beau livre, vas-y !
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Je ne trouve pas ton article sur le dernier Brautigan que tu as lu… (oui je suis impatiente, mais là je ne vois vraiment pas l’article…)
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mais patience, voyons ! 😉 ça va arriver, je l’ai écrit et il est programmé ! je me donne du temps, pour que les livres dont je parle – les articles – puissent être lus ! c’est pas beau, ça ?
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Mais j’ai reçu un avis de parution de cet article… je n’y comprends rien…
Excuse mon impatience, c’est parce que j’aime te lire !
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Tu parles de Brautigan ? J’ai peut-être fait une fausse manip’ à un moment donné en mettant les paramètres de parution. Maiiiis ! ça arrive ! 😀
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Comme Martichat… J’adore l’auteur et je le crois capable de m’arracher des larmes à chaque page avec cette histoire d’enfance. Allez, je ne peux pas résister ! Je me laisse tenter 🙂
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Alors là, en tous cas moi, j’ai sorti le mouchoir…
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Aaaaah, impossible! j’ai trop à lire!!! (et puis j’veux pas pleurer…)
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Ah ah ah ! Tu y viendras un jour ! Un Brautigan arrive très bientôt ! 😀
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je viens de le « découvrir » avec les 4e mur et suis en train de lire « retour à K… » – en effet une voix singulière et touchant au plus profond…. je vais certainement « craquer » pour ce livre aussi….
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J’ai lu les mêmes que toi, et ce dernier est vraiment non seulement intéressant, mais très touchant; cet homme est d’une grande sincérité, un honnête homme, avec la capacité à prendre de la distance avec son sujet. Ici, pourtant, ça n’a pas dû être facile, mais il y parvient avec pudeur. Un très très beau livre.
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Merci pour ces précisions incitatrices….
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😉
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Encore un auteur que je veux absolument découvrir et bien sûr celui ci, comme ses autres titres, a rejoint ma LAL (à défaut de ma PAL) il me tente terriblement. Encore plus que les autres je crois :0) Je rajoute ton billet avec les autres dans vos billets les plus tentateurs, bises et bonne semaine
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Merci, c’est gentil !
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Ping : Vos billets les plus tentateurs du mois de Septembre | L'or rouge
Merci pour le lien !
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Beaucoup de réticences pour ce livre que je n’ai pas encore lu. Le lirai-je un jour ? Rien n’est moins sûr
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Mais c’est aussi bien comme ça! Personnellement, je ne lis que ce qui me tente, il y a tant de livres que je n’ai pas de temps pour des trucs qui risquent de m’ennuyer! Ceci dit, j’aime beaucoup Chalandon et ce livre en particulier m’a beaucoup touchée. Les lecteurs sont une grande faune diverse !
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On en a déjà un peu parlé mais…
En plus de ce que tu écris et que je partage complètement, je trouve que c’est en même temps une manière d’aborder la question de la guerre d’Algérie et d’un certain climat du pays. Parce que finalement, la violence du père, sa mythomanie, elle s’explique. Objectivement, on se doute que son engagement dans la guerre explique les comportements qu’il a vis à vis de son fils; mais en même temps, les histoires qu’il raconte à Emile ont quelque chose de.. je ne sais pas. De touchant, dans un sens. J’ai l’impression que le père, aussi « affreux » soit-il, a quelque chose d’extrêmement humain, justement, dans sa manière de mentir, car il se ment aussi à lui-même, dans un sens. C’est l’histoire d’un homme qui a perdu quelque chose – pas qu’une guerre : un honneur, une fierté, une foi,… -, et finalement il fait avec ce qu’il a pour tenir debout, c’est à dire, avec rien.
On peut lui trouver tous les torts : sa brutalité, son engagement antérieur… On ne peut pas forcément l’excuser, et on n’a pas à le faire. Mais je trouve que justement, parce qu’il est tyran, menteur, jusqu’au-boutiste , il est aussi un exemple d’humanité, un exemple de ce qu’un homme peut aussi devenir dans ce monde.
Mais j’ai peut-être perçu cela en écho à une expérience : un certain oncle (que tu reconnaîtras) que j’avais, autrefois, racontait aussi des histoires à son fils, et son fils avait les yeux qui brillaient. Il n’était peut-être pas tyran, ni violent, ni sorti de la guerre, mais il avait, comme le père d’Emile, ce côté tragique de l’homme qui n’a plus que son imagination pour se donner un peu de contenance et de réalité…
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On en a déjà un peu parlé mais…
En plus de ce que tu écris et que je partage complètement, je trouve que c’est en même temps une manière d’aborder la question de la guerre d’Algérie et d’un certain climat du pays. Parce que finalement, la violence du père, sa mythomanie, elle s’explique. Objectivement, on se doute que son engagement dans la guerre explique les comportements qu’il a vis à vis de son fils; mais en même temps, les histoires qu’il raconte à Emile ont quelque chose de.. je ne sais pas. De touchant, dans un sens. J’ai l’impression que le père, aussi « affreux » soit-il, a quelque chose d’extrêmement humain, justement, dans sa manière de mentir, car il se ment aussi à lui-même, dans un sens. C’est l’histoire d’un homme qui a perdu quelque chose – pas qu’une guerre : un honneur, une fierté, une foi,… -, et finalement il fait avec ce qu’il a pour tenir debout, c’est à dire, avec rien.
On peut lui trouver tous les torts : sa brutalité, son engagement antérieur… On ne peut pas forcément l’excuser, et on n’a pas à le faire. Mais je trouve que justement, parce qu’il est tyran, menteur, jusqu’au-boutiste , il est aussi un exemple d’humanité, un exemple de ce qu’un homme peut aussi devenir dans ce monde.
Mais j’ai peut-être perçu cela en écho à une expérience : un certain oncle (que tu reconnaîtras) que j’avais, autrefois, racontait aussi des histoires à son fils, et son fils avait les yeux qui brillaient. Il n’était peut-être pas tyran, ni violent, ni sorti de la guerre, mais il avait, comme le père d’Emile, ce côté tragique de l’homme qui n’a plus que son imagination pour se donner un peu de contenance et de réalité…
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Tu as parfaitement raison, et bien sûr, je reconnais l’oncle. Et je suis d’accord avec toi. Et je ne peux m’empêcher de penser toujours en premier à l’enfant, face à l’adulte, et aux traces. Du coup ton commentaire complète bien mon propos, avec cette face de l’histoire.
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