« Texasville », Larry McMurtry – Gallmeister/Totem, traduit par Josette Chicheportiche

poche og1« Ces Centenaires sont vraiment super, déclara Jack. On devrait en faire un tous les ans. »

Ainsi se termine ce roman qui est un véritable grand cirque, trépidant, déjanté, foisonnant de personnages et de péripéties, drôle – très drôle, j’ai pris de bons gros fous-rires toute seule dans mon fauteuil – plein d’ironie douce-amère et enfin profondément dépressif et mélancolique…Oui, tout ça est possible tout en même temps sous la plume de McMurtry. Un peu comme dans « Lonesome Dove », qui reste mon préféré, un livre de rires et de larmes.

Thalia, petite ville du Texas, années 80, en proie à la crise pétrolière. J’ai retrouvé Duane et Sonny, rencontrés dans « La dernière séance », alors qu’ils entraient tout juste dans l’âge adulte, et les voici proches de la cinquantaine. Duane, marié à Karla et père d’enfants indomptés et indomptables, grand-père de deux petits eux aussi très prometteurs et qu’il adore, Duane est en faillite; devenu très riche grâce au pétrole, la crise attaque de plein fouet le Texas, et rien ne va plus au royaume des derricks. Mais autre chose agite Thalia : le Centenaire du Comté, que la population entend mener tambour battant, avec une semaine de spectacles, de bals, d’expositions, etc…sans oublier les beuveries.

Deux moments vraiment épiques : le marathon et la bataille d’œufs…Si ça vous intrigue

oilfield-643836_1280Dans toute cette fébrilité, Duane déprime, sans vouloir se l’avouer. Pour se calmer il s’immerge dans son jacuzzi et tire avec son 44.Magnum sur une niche à étage, tout en entendant hurler ses enfants. Karla et lui vivent à leur gré de nombreuses aventures sexuelles. D’ailleurs :

« A mon avis, ce qu’il faut à cette ville, c’est un de ces tableaux comme ils ont à la Bourse, dit-il. Seulement, au lieu d’indiquer le cours des actions, il signalerait les divorces et les grossesses, annoncerait qui est marié avec qui, ou qui va se marier avec qui. On pourrait l’installer sur la pelouse du tribunal. Ça ferait un bon boulot d’été pour le gamin qui serait chargé de permuter les noms tous les matins. »

Ou :

« – Oui, mais maintenant, il y a aussi Janine qui est enceinte de Lester. Ils se cachent dans le tribunal. Bobby Lee est persuadé d’aimer Nellie. Junior est tombé amoureux de Billie Anne et elle est toujours mariée à Dickie. Et pour couronner le tout, toi tu veux épouser Dickie, alors que tu n’as pas encore divorcé de Junior. Ça suffit comme ça. Je ne sais pas par où on va commencer, mais il va falloir mettre assez vite un peu d’ordre dans tout ça. »

Au-delà de ces péripéties amoureuses de toutes sortes, au-delà de l’agitation du Centenaire, on sent bien que tous ces gens se noient dans l’hyperactivité et le brouhaha pour oublier l’amertume, le chagrin et la vacuité de leur vie.

« – Cette réunion me fout vraiment le moral à zéro.Tous ces gens qui font semblant d’être heureux alors qu’ils sont tristes à crever, ça me tue. »

Pour moi l’ombre portée sur toute cette frénésie, qui rappelle aux autres qu’on ne peut être et avoir été, qu’on vit et qu’inévitablement on meurt et que, qu’on le veuille ou non, le monde change, c’est Sonny, très touchant personnage, qui peu à peu s’échappe, regardant des films que personne d’autre ne voit.

« Tout en haut des gradins, au-dessus de l’arène déserte, Sonny regardait un film sur l’immense écran argenté de l’aube.[…] Puis l’écran se fondit dans le ciel au-dessus de Thalia, au-dessus du Palais de Justice, au-dessus de la plaine. Le désespoir envahit Sonny. Il avait laissé s’envoler le film. Il avait laissé s’envoler sa chance. Il se mit à pleurer de déception. »

file000712517818Au fil des pages, ses apparitions ramènent les autres protagonistes et le lecteur à la réalité du temps qui passe. Je crois que sur les quatre romans que j’ai lu de cet auteur, tous contiennent cette profonde mélancolie cachée sous les rires et les 100 dernières pages de celui-ci en sont un exemple clair. Les deux derniers chapitres m’ont profondément émue, on s’attache fort à ces personnages. Duane en dépression attire la sympathie, c’est un homme plutôt bon et sensible, mais aussi qui tente – bien qu’assez faiblement à mon avis – de maintenir l’apparence de cette virilité si importante au Texas quand on est un homme ( Bruce Machart avait parlé de ça lors de sa rencontre avec le public chez mon libraire au Cadran Lunaire à Mâcon ).

Mais le constat sur sa vie est celui-ci :

« C’était comme si tout avait été lavé trop souvent, usé jusqu’à la trame. Ses amitiés et ses aventures lui paraissaient également tristes et fragiles. Elles avaient été le tissu confortable et solide de son existence, mais ce tissu était devenu trop vieux pour supporter le poids des corps, des personnalités et des exigences de ceux qui s’y tournaient et s’y retournaient. A certains endroits, un orteil ou un coude était passé au travers, et l’étoffe s’effilochait de partout. »

J’aime énormément cette image qui vient à l’esprit de Duane alors que sa vieille gouvernante Minerva déchire de vieux draps usés pour en faire des chiffons à poussière…

Enfin McMurtry, on le sent, a une grande tendresse pour tous ses personnages, et en particulier les femmes de ce livre, Karla et Jacy, mais aussi Suzie, Janine, Nellie… Vraiment, un beau moment de lecture. Willie Nelson accompagne l’histoire en fond sonore ( Karla en est fan ):

Pour finir, Bogdanovitch, qui avait adapté « La dernière séance », a réalisé « Texasville »  en 1990. Larry McMurtry est scénariste, et comme je l’ai revu cette semaine encore, je ne vous dirai jamais assez comme « Le secret de Brokeback Mountain » –  pour le scénario duquel McMurtry a obtenu un Oscar et un Golden Globe –   est  bouleversant, magnifique.

dog-707476_1280Je ne vous ai pas parlé de Shorty, mais si vous voulez faire sa connaissance, lisez « Texasville ».

 

 

 

 

6 réflexions au sujet de « « Texasville », Larry McMurtry – Gallmeister/Totem, traduit par Josette Chicheportiche »

  1. Lu et aimé. Mais comme toi, j adore  » lonesome dove » . J ai lu Duane est dépressif, jouissif, et j ai acheté Duane est amoureux. Du plaisir en vue

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