« Cry father » de Benjamin Whitmer – Gallmeister/ Néonoir, traduit par Jacques Mailhos.

0893-cover-cry-54b5161d42822« Mais tu es toujours là, partout. Quand je suis assis sur la terrasse, tu es derrière le massif de Blanca. Quand je suis assis dans la cabane, tu es ce que je ne peux pas voir à travers les fenêtres, dans le noir.Tu es dans tout ce que je vois et dans tout ce que je ne vois pas. Personne ne peut résoudre ça. Nous sommes la somme de nos pertes. Tout comme mes foirages en tant que père venaient, en partie, de pertes que j’avais subies avant que tu naisses. Rien ne s’arrête, rien ne se soigne.

Et ça me va bien comme ça. »

Ainsi se termine ce roman noir, très très noir…Et qui confirme le talent qu’on avait découvert dans le roman précédent, « Pike ». Ce livre, qui n’est pas un roman policier, a pour fil conducteur la paternité, la difficulté, le bonheur ou la douleur d’être père ou fils…Un livre sur la perte qui laisse un trou béant. Une histoire qui parle des déglingués de la vie. C’est aussi ici une histoire qu’on peut dire d’amitié, bien que ce soit plus compliqué que ça. 

Fort_Garland,_ColoradoBon : si vous n’aimez pas la violence, préparez-vous à grincer des dents. Ici, ça cogne, on entend craquer les os et les dents, on sent l’odeur métallique du sang qui gicle immodérément d’un peu partout, on ressent la douleur des mains qui enflent; ici on boit, on se colmate à la cocaïne, on souffre…Mais on souffre dedans, dehors, seul ou non, on a le sentiment que nul ne trouve d’apaisement. Cela pourrait être insoutenable, mais heureusement, le diable Whitmer empreint parfois son écriture d’un lyrisme poétique – oui !  – absolument splendide, et qui permet de reprendre souffle entre deux bagarres alcoolisées. Chez les personnages de Whitmer, la violence est une façon d’échapper à la haine de soi. 

« Rien ne peut vous faire vous haïr vous-même aussi puissamment que d’avoir un enfant. Rien ne sait mieux mettre à nu tous les trous qu’il y a dans la personne que vous avez passé votre vie à vous dire que vous êtes. Et quand vous faites des erreurs, comme les parents en font, même les parents qui ne sont pas Junior, la culpabilité vient ronger le rebord de ces trous jusqu’à ne plus rien laisser que du trou. »

J’ai marqué plein de pages au cours de ma lecture, parce que ce livre m’a vraiment touchée, je voudrais vous lire ces phrases que j’ai trouvées si fortes, mais il y en a trop.

Alors lisez ce livre ( assez court au demeurant, 315 pages ), l’écriture est très travaillée, comme le rythme et le « découpage », certains passages sont de vrais moments de grâce. Quand Patterson écrit à Justin, son fils disparu, ou quand il est sur la route qui le mène à sa cabane, et qu’il décrit les paysages.

« Et Patterson franchit le col et l’instant d’après les nuages ont disparu et le ciel est d’un grand bleu brutal, puis Patterson sinue par amples boucles à travers les Sangre de Cristos, entre des pentes vêtues de pins tordus et des derniers haillons de neige. »

whitmerEn lisant, à la toute fin du livre, les dernières phrases de remerciements de Benjamin Whitmer, j’ai vu ses yeux bleus lumineux et son étrange sourire en coin:

« Enfin, j’ai le bonheur d’avoir quatre parents et deux enfants que je n’ai rien fait pour mériter. Il n’y a pas d’excuse pour la chance que j’ai d’avoir ces six personnes dans ma vie. Chaque matin, au réveil, je leur en suis reconnaissant, et j’espère qu’ils le savent. »

Un phrase que chacun de nous devrait pouvoir prononcer.

Je trouve l’idée excellente d’avoir conservé le titre en anglais, et cette nouvelle collection Neonoir (ici pour en savoir plus ) est vraiment très belle . Enfin  je vous envoie sur le blog ami  « L’actu du noir » pour « Pike ».

C’est Townes Van Zandt qui accompagne Patterson quand il retourne sur sa mesa.

21 réflexions au sujet de « « Cry father » de Benjamin Whitmer – Gallmeister/ Néonoir, traduit par Jacques Mailhos. »

    • j’avais déjà été emballée par « Pike », le talent se confirme, s’affine même à mon avis. Après, les gens qui ne supportent pas la violence vont détester. Mais elle est ici pleine de sens, franchement, j’aime cette écriture. Alors si j’ai bien fait passer le message, tant mieux ! 🙂

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  1. Ce livre me semble à travers tes yeux, poignant, douloureux , magnifique …Mais non, je ne me sens pas de lire un bouquin qui me retourne l’âme et les tripes…Je garde le nom de l’auteur, pour une période où j’aurai plus de courage ! Mais bravo pour ton très beau et inspiré billet !
    Bises et re bises

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    • Alors, vitalité mentale, hein ! Capacité à absorber les coups sans broncher, comme les vrai(e)s dur(e)s !Mais ce livre – ça en fera tiquer peut-être certains, l’emploi de ce mot – ce livre donc est beau, c’est mon avis. On en fait ce qu’on veut ! 🙂

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  2. J’avais bien capté qu’il s’agissait de vitalité mentale ! et je ne suis pas choquée à priori par le fait que tu trouves ce livre beau. Les rapports parent-enfant sont un sujet auquel je suis très (trop) sensible.
    As-tu lu chez Gallmeister justement (comme quoi je connaissais un auteur de chez eux avant) (= avant de te connaître) Sukkwan Island de David Van ? Une relation père et fils aussi… et très dure, et très noire, et passionnante pourtant.

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    • Oui oui, bien sûr, et les suivants de Vann, sauf les deux derniers »Derniers jours sur terre » et « Goat mountain », pas eu le courage, après « Impurs » que j’avais trouvé assez insoutenable ! Mais bon, doué, le garçon ! Et « Sukkwan Island est pour moi le meilleur, en tous cas mon préféré. Comme toi, ce sujet – et tout ce qui touche à l’enfance et à la famille – me touche beaucoup ( trop ! )
      A ce propos, David Vann et sa gueule d’ange…je l’ai rencontré chez mon libraire, eh oui madame ! Sacré moment, un type très pro dnas sa promo, souriant, drôle. Et tu peux lire cette rencontre là https://lectriceencampagne.wordpress.com/2013/05/24/hier-au-cadran-lunaire-a-macon-david-vann/
      Pour la violence, je sais que certains n’y arrivent pas, je comprends, mais moi ça ne me gêne pas quand l’histoire le justifie.

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  3. L’écriture peut être belle même si elle décrit l’horreur, même si elle en dit (Voir Céline par exemple..). Et toi, tu nous racontes une histoire? Tes présentations de romans sont si alléchantes que j’attends toujours d’en lire plus de ta plume.

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    • Oh, c’est gentil, mais si j’y ai pensé, je le reconnais, j’ai vite renoncé pour plusieurs raisons. Je n’ai pas assez d’imagination, et je crains trop d’écrire tout ce que je déteste en littérature, à savoir une logorrhée nombriliste vaguement colérique. Je me retiens souvent, j’ai parfois effacé des articles à peine publiés la minute précédente, parce que j’y parlais de moi, enfin un peu trop. Les personnes qui me suivent, comme toi, savent bien deviner ce qu’il y a de moi derrière les livres que j’aime ( ou ceux que je ne lis pas ou n’aime pas, d’ailleurs ).Ecrire pour de bon de la littérature, des histoires, surtout inventer des histoires, je m’en sens incapable.

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  4. Le style de l’auteur est superbe et j’ai adoré les quelques extraits que tu as mis, il y a juste un hic quand tu avertis ; « si vous n’aimez pas la violence, laissez tomber ». Je n’aime pas la violence dans les livres (et encore moins dans la vie évidemment) alors ça me freine un peu, mais violent, violent ? Il me fait un peu penser à Garden of love de Marcus Malte qui était lui aussi d’un noir profond mais d’une beauté sublime. Tu connais ? En attendant je mets ton billet dans vos plus tentateurs :0) Bises

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    • Oui, quand je dis violent, c’est TRES violent, très réaliste, très détaillé, comme je le dis, le sang, les os, les dents, la bouche en bouillie. Je le dis parce qu’après, je me fais engueuler ! 🙂 Certaines personnes trouvent violent un coup de poing, tu vois ? Et là, c’est vraiment un autre degré. Moi, ça ne me pose pas de problème EN LITTERATURE si c’est justifié, ce qui est absolument le cas ici. Tiens : tu sais quoi ? Je vais modifier cette phrase, et on verra, d’accord ? Whitmer est une magnifique plume, et s’il dépeint la violence, celle de l’univers qu’il veut montrer, c’est avec un grand talent. Ce n’est que son second livre, mais en voici un que je vais suivre, comme plein d’autres chez cet éditeur.

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    • J’ai juste échangé quelques mots, l’an dernier aux Quais du Polar ( tu y viens, au fait ?), c’est son visage et son sourire qui m’ont fait craquer ( hormis son écriture, bien sûr ! ); en règle générale, les auteurs américains sont très ouverts et sympas. Lui, c’est quelqu’un qui « promet » côté plaisir de lectrices et eurs

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