La première phrase :
« Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. »
Je viens de finir ce voyage vertigineux dans le chaos du monde, dans le chaos des cœurs humains, dans leurs ténèbres…Revenir ici et maintenant après une telle lecture demande un temps de réadaptation. Jaume Cabré, comme un magicien ( un sorcier ?) brasse les temps, les langues, les musiques, avec une virtuosité d’une audace incroyable.Je n’ai jamais rien lu de semblable à ce livre, qui pour moi est un chef d’œuvre. Je n’ai jamais rencontré cette façon d’écrire, très perturbante au début, puisqu’elle valse avec les sujets et les temps, que dans la même phrase on passe du « je » au « il » parlant de la même personne, que du gamin Adrià à Barcelone on glisse au luthier Storioni à Crémone au XVIIIème siècle, d’un monastère catalan à Auschwitz… De ces livres uniques, rares, et surtout, impossibles à raconter, à résumer…Même Jaume Cabré dit qu’il lui est difficile d’en parler, et il le boucle par ces mots : » J’ai considéré ce roman comme définitivement inachevé le 27 Janvier 2011, jour anniversaire de la libération d’Auschwitz. »
Adrià écrit son histoire pour son aimée, Sara, aidé par son ami de toujours, Bernat.
« Surtout que maintenant qu’il regardait en arrière, Adrià Ardèvol voyait que même quand il était petit il n’avait jamais été un petit enfant. Il attrapa toutes les précocités possibles et imaginables, comme d’autres attrapent un rhume et des infections. Je me fais même encore pitié. »
Il y a donc dans ce roman des histoires d’amour et d’amitié mais aussi de violence, de haine et de cynisme, celle d’un enfant surdoué que ses parents n’aiment pas, mais dont ils ont fait le miroir de leurs ambitions. Adrià, qui quand il mêle le nom de Dieu à une phrase rajoute « qui n’existe pas », Adrià enfant qui vit sous l’oeil bienveillant du shériff Carson et de l’indien arapaho Aigle Noir, figurines bavardes et protectrices qu’il garde dans sa poche ou sur sa bibliothèque.
« Je veux te dire une chose qui m’obsède, ma bien-aimée : après avoir passé ma vie à essayer de réfléchir sur l’histoire culturelle de l’humanité et de jouer correctement d’un instrument qui ne se laisse pas faire, je veux te dire que nous sommes tous, nous et nos affects, un pputain de hasard. Et que les faits s’embrouillent avec les actes et les évènements; et que les gens se heurtent, se trouvent ou s’ignorent également par hasard. Tout arrive au petit bonheur la chance. » ( note : les 2 « p » au mot « putain » sont voulus par l’auteur, pour rendre la force du mot )
Adrià qui tente de remonter, dans sa lettre à Sara, à l’origine du Mal, de l’Inquisition au nazisme, d’Anvers au Vatican, à travers le destin d’un violon et de ceux qui l’ont convoité, longue lettre avant que sa mémoire ne le quitte définitivement, emportée par Alzheimer. Et il nous dit, à travers le récit de son existence, que chacun de nous a en germe la capacité à faire le Mal.
« – Tuer au nom de Dieu ou au nom de l’avenir, cela revient au même. Quand la justification est idéologique, l’empathie et le sentiment de compassion disparaissent. On tue froidement, sans que la conscience en soit affectée. Comme dans le crime d’un psychopathe. »
Je n’arriverai pas à dire plus, impossible, indescriptible…Seulement encore que ce livre est souvent drôle, que les niveaux de langues sont nombreux, que c’est foisonnant, toujours captivant, parfois très dur ( au sens émotionnel du terme ) et parfois très difficile et que pour ma part, je n’ai pas pu lire ce livre rapidement, comme parfois on est happé, ça coule, on lit, on avance…Là, pas possible, souvent envie – besoin – de revenir en arrière…En fait, à peine fermé, on a envie de le relire, un vrai piège !
A propos de Primo Levi et Paul Celan, conversation entre Adrià et son ami Bernat:
« – Ils ne se sont pas suicidés parce qu’ils avaient connu l’horreur, mais parce qu’ils l’avaient écrite.[…]Ils l’avaient écrite; ils pouvaient mourir. Je vois ça comme ça. Mais il y a autre chose : ils se sont rendu compte qu’écrire, c’est revivre, et passer des années à revivre l’enfer, c’est insupportable. Ils sont morts d’avoir écrit l’horreur qu’ils avaient vécue. Et à la fin, toute cette douleur et toute cette panique réduites à mille pages ou à deux mille vers; faire tenir tant de douleur dans quelques centimètres carrés de papier imprimé, cela a l’air d’un sarcasme. »
Je ne sais pas comment vous dire tout ce que j’ai ressenti à cette lecture…Une immense admiration pour cet écrivain que je ne connaissais pas et dont je vais lire les livres précédents , et je trouve que celui-ci n’a pas eu l’écho qu’il mérite . A nous, lecteurs, de tracer son chemin et de le faire arriver entre d’autres mains. Je tiens à dire aussi qu’il faut tirer chapeau bas au traducteur, qui a réussi là un coup de maître, je me suis demandée sans arrêt comment il avait su obtenir en français cette écriture, ce style si particuliers.
Ecoutez Jaume Cabré parler de son livre, qui a obtenu le prix littéraire du Courrier International 2013
Interview de Jaumé Cabré – Prix littéraire… par courrierinternational
Et ici, l’article de Richard, enthousiaste comme moi à cette lecture inoubliable, emballante, fantastique…Bref : 770 pages de bonheur absolu !
Et la dernière phrase :
« La dague lança un éclat dans la faible lumière avant de s’enfoncer dans son âme. La flamme de sa chandelle s’éteignit et il ne vit ni ne vécut plus rien. Plus rien. Il ne put dire où suis-je car, déjà, il n’était plus nulle part. »
Je suis toujours heureux quand quelqu’un découvre cet auteur et l’apprécie comme moi ! Jaume Cabre, est selon moi, un des meilleurs auteurs contemporains. Quel style ! Unique et génial ! Merci pour cet article qui me rappelle un excellent souvenir de lecture !
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d’accord avec toi : unique et génial !
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Je me suis permis de mettre ta chronique sur Facebook ! J’espère que tu es d’accord !
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pas de problème, au contraire !
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Richard, bonjour !
je t’ai envoyé il ya une petite semaine un mail ( peut-être passé dans les spams ) pour participer à un petit jeu sur les livres, et les rapports que nous entretenons avec eux. C’est une chaîne, un truc auquel je ne participe jamais, mais envoyé par une amie à qui je ne pouvais pas refuser, et finalement tout le monde a trouvé ça vraiment intéressant. Je t’&i envoyé le message, parce que ça faisait deux hommes et trois femmes, pour équilibrer ! Si c’est juste que tu ne veux pas participer, pas de souci 🙂
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La première phrase est cinglante mais en termes de premières phrases choc, superbe. Tellement de dit et de non dit dans une phrase si simple. Tu as trempé dans l’ambiance catalane, dis moi.
Très beau billet aussi. Apparement un excellent livre. Merci. Je ne sais pas si je vais pouvoir jamais te rattraper, surtout que je mets les dernières touches à mon livre pour 9-12 ans qui devrait sortir cet automne.
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Oh, un livre exceptionnel, un écrivain exceptionnel…Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Garcia Marquez, dans la qualité de la forme, l’architecture du livre et nom d’un chien, quelle écriture ! Dis-moi, de quoi parle ton futur livre ? J’aimerais bien en lire un un de ces jours, mais ils ne sont pas traduits, c’est ça ?
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Non, mon premier ne l’est pas et mon second qui arrive bientôt non plus. J’ai peur d’écrire en français mais je crois que je vais me jeter à l’eau un de ces jours et écrire à propos de mes aventures aux USA.
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J’aimerais bien te lire, parce qu’en lisant ton blog, ds articles comme le dernier, « Le temps nous est compté » ou « Le coeur du Maine », je suis sûre que tes livres me plairaient…En tous cas, bonne chance pour ce nouveau roman ! 🙂
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Tu l’as à la maison ? Si oui, tu me le mets de côté ? ça donne envie !
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Ah non, je l’avais réservé à la BDP, c’est un gros gros bouquin ! Ils l’ont sûrement dans une médiathèque à Villeurbanne ou Lyon, sinon, je te l’offre à ton anniv’ et en avance. C’est un magnifique livre
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Ok je l’emprunterai c’est aussi bien 😉
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Je découvre ton blog grâce à Cunéipage ,qui t’a mise en lien sur la critique du bouquin de Marlen Haushofer. Magnifique !
J’ai trimballé Confiteor tout l’été , je tourne autour et n’arrive pas à commencer …je crois que j’ai peur d’être déçue maintenant que tellement de gens me l’ont promis comme génial 😉
Amicalement
Mior
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Forcément, je suis comme toi, je me méfie des livres encensés . Ceci dit, Confiteor n’a pas été aussi médiatisé que les autres parce que c’est un livre exigeant, et que les médias ( ok, c’est une généralité, mais on simplifie, hein ! )pensent un peu que le lecteur veut du simple. Moi j’adore quand c’est compliqué; pas toujours, parfois les neurones se mettent en pause, mais quand l’écriture, la trame, les personnages sont de ce niveau : j’adore ! Donc, pour moi c’est un chef d’oeuvre et je suis impatiente d’avoir des avis d’autres lecteurs !
Bienvenue chez moi !
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ah, enfin qqn dans mon « cercle » qui vient de lire ce livre. Je m’y jetterai une fois subi la « rentrée »…. Merci du coup de chapeau au traducteur…!
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Je donne souvent un coup de chapeau aux traducteurs, c’est un travail qui, en littérature m’impressionne énormément. Et pour certains romans, c’est juste d’une intelligence et d’une finesse remarquables. C’est le cas dans Confiteor. Et pressée que tu le lises et que tu me donnes ton avis.
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Bonjour Simone, Confiteor a été mon coup de coeur de la rentrée littéraire 2013. Quel roman! http://dasola.canalblog.com/archives/2013/12/03/28566813.html Bon samedi.
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Dasola, bonjour ! j’ai bien envie de te proposer le Bookshelf Tag, si ça te dit, tu me dis ? Oui, un chef d’oeuvre,ça faisait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’une telle portée
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Bonjour,
J’ai été moi aussi convaincue par ce roman dont il est si difficile de parler sans avoir l’impression de le réduire à quelque chose de banal, alors qu’il est tellement extraordinaire…
Mais tu réussis très bien ce périlleux exercice..
A bientôt.
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merci ! une merveille, oui
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Je me laisserais bien tenter, mais je croule déjà sous toutes les lectures et surtout…la panne, qui commence à être très longue… Mais quand même il a vraiment l’air génial !
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ah oui, alors ! En mode « En panne », ça peut -être un starter pour relancer la machine, franchie la vision du gros livre écrit serré ! :)Mais un vrai régal. Là, je finis « Price » ohlala ! Post au plus tard demain
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J’ai réussi à ire en vacances, mais depuis le retour, plus rien !
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Moi ça va, mais un peu au ralenti, mais je sens que , tout le monde étant reparti travailler au milieu des livres, moi, je vais les lire pour combler les manques
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C’est quand même handicapant, surtout en cette période…
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Oh, ne te biles pas, Mary ! Il y a des libraires qui ne lisent pas, des bibliothécaires qui ne lisent pas non plus,…Et même si heureusement ce n’est pas la norme, tu es largement au-dessus de la moyenne !
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Je sais bien, mais le temps des présentations arrivent kai kai kai !
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Tu as bien lu un peu, Truc, par exemple, tu peux choisir des livres courts (même si tu n’aimes pas spécialement l’auteur : ça s’appelle tricher !:) )Lydie Salvaire, il a l’air pas mal, et court, tu as lu Tristesse de la Terre. En court et vite lu, Dominique Fabre « Photos volées » ( moi j’aime ce type, d’autres détestent…je ne sais pas toi ) , ah ! le James Salter, génial il parait, Anne Percin, court et c’est bien, en principe ( même très bien ), Mauvignier, très court…Comme ça, tu lis, c’est pas des choses difficiles
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Il me fait très envie ce « Confiteor », je le prendrai pour mes vacances en mai. 800 pages, quand même!
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Il demande, surtout au début, un peu de concentration, c’est un peu un exercice comme pour entrer en méditation, tu vois, faire le vide pour laisser place au texte…Et alors après…waouh ! Exceptionnel.
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Toi qui l’as vue, oui! Mais c’est vrai que ça peut paraitre glacial comme univers.
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Tu parles de Tatiana Trouvé ? Oui, c’est l’impression que j’ai eue, mais ça n’en est pas moins intéressant
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ohlala, excuse-moi, je n’avais pas vu sur quel article je commentais…
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ça me fait rire, c’est pas grave ! 😀
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