« Un feu d’origine inconnue » de Daniel Woodrell, Autrement éditions, traduit par Sabine Porte

Un-feu-origine-inconnue-Daniel-WoodrellJe ne connaissais pas Daniel Woodrell, et c’est l’article de Bruno alias La Limule qui me l’a fait découvrir, et donné à lire. Un livre dont on voudrait qu’il dure plus encore. Que dire sinon que ce livre sera probablement dans mes lectures préférées de 2014; voici une galerie de portraits au couteau et au burin absolument vivante et inoubliable. Au fin fond du Missouri, comme partout ailleurs, la crise de 1929 étale sa misère. A West Table comme ailleurs, toutes les strates de la société se côtoient tant bien que mal quand survient un terrible incendie qui ravage la salle de bal, tue 42 danseurs, les envoyant dans les airs en une énorme explosion, parmi les flammes et la fumée. Laissant la petite ville et sa population dans un état de sidération tel que depuis règne sur elle une chape de tristesse et de douleur. Car l’origine du feu n’a pas été trouvée, accident ou incendie volontaire, c’est la valse des suppositions et des soupçons qui ronge les esprits. Alma raconte à son petit-fils Alek, le narrateur,  sa version de l’histoire.

Poor_mother_and_children,_Oklahoma,_1936_by_Dorothea_LangeL’ écriture est affûtée, sans fioritures mais sans sécheresse pour autant; les personnages sont emplis de vie, en quelques lignes on les voit, on les entend et on les observe. Ainsi de page en page  West Table s’anime et traverse ces 30 ans écoulés entre le drame et le récit d’Alma, jusqu’au dénouement. Le ton parfois ironique de Woodrell et ses pointes d’humour adoucissent un peu les passages où un enfant est en scène. Mais c’est aussi la misère et la servitude qui sont mis en face du lecteur: Alma qui ramène des os de chez ses employeurs pour donner à manger à ses fils, Alma qui pleure, couchée la face dans la neige sur la tombe de son fils Sidney, emporté par la leucémie, John Paul enfant qui va chaparder dans les jardins la nuit, parce qu’il a faim . Tandis que les banquiers jouent au golf.

« À défaut de remède particulier, Alma n’avait que ses mains de mère et des haricots nageant dans du gras de porc pour veiller sur son fils mourant et elle faisait du mieux qu’elle pouvait. James passait ses nuits oppressantes à faire les cent pas d’un mur à l’autre, dans tous les sens, se donnant des claques. Il ouvrait et refermait son couteau de poche. Il se donnait des claques, ouvrait et refermait son Barlow, et de temps à autre, comme s’il chuchotait à un comparse, il répétait : « T’as raison.T’as raison. » Sidney était alité depuis des semaines auprès des siens, le souffle faiblissant, et il ne réclamait rien, ni nourriture ni remède, rien, mais il fixait le plafond avec un regard résigné en l’implorant, lui ou autre chose, de le laisser partir. Allez, laissez-moi partir, là, maintenant, bientôt, partir. »

Woodrell ne laisse pas de temps à l’apitoiement, il avance dans son récit, insérant le film des dernières heures des jeunes gens qui vont mourir calcinés.

DorotheaLangeMigrantWorkersChildrenInévitablement, on assiste aux lâchetés des uns, aux mensonges des autres et au chagrin de presque tous, car :

« Toutes les couches de la population étaient représentées, la tragédie n’avait épargné ni classe, ni religion, affectant tous les quartiers, toutes les communautés, répandant la douleur indifféremment. Les élégants, effarés, les cœurs purs en salopette et souliers percés se côtoyaient sur les bancs et chantaient les cantiques qui les réunissaient. »

Un livre bouleversant, noir, incisif, un très grand roman digne des plus grandes plumes du Sud, Woodrell étant comparé souvent et à juste titre à Faulkner ou Jim Thompson. 

Un magnifique moment de lecture, allez-y.

10 réflexions au sujet de « « Un feu d’origine inconnue » de Daniel Woodrell, Autrement éditions, traduit par Sabine Porte »

    • cette histoire est inspirée d’un fait réel, l’incendie d’un Dancing en 1928 à West Plains ( l’auteur le place en 1930 et a transformé West Plains en West Table, des membres de sa famille y ont péri ). Et oui, magnifique, écriture très travaillée, construction du récit aussi, je pense que ça vous plaira. De mon côté je vais lire d’autres titres de lui.

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